La croissance pour la croissance, intérêts et limites de la Commission Attali
1. Structure du rapport Attali
Ce rapport comprend :
Une introduction
- Discours de M. le président de la République, lors de l’installation de la commission pour la libération de la croissance, le 30 août 2007.
- Préface de Jacques Attali.
Un résumé
Trois parties qui ont pour objectif de présenter les 316 propositions du rapport.
- Première partie : Participer pleinement à la croissance mondiale.
- Deuxième partie : Des acteurs mobiles et sécurisés.
- Troisième partie : Une nouvelle gouvernance au service de la croissance.
Une quatrième partie intitulée « Réussir la libération de la croissance ».
Cette partie précise les conditions de mise en œuvre du rapport.
Une annexe intitulée en « Savoir plus ».
La présente réflexion sur le rapport Attali va se centrer sur les trois parties qui constituent le cœur du rapport. Il n’est pas inutile de donner quelques précisions sur le contenu de l’introduction et de l’annexe.
Le discours de Mr. le président de la République, lors de l’installation de la commission pour la libération de la croissance, le 30 août 2007, fixe :
- la priorité : « Augmenter la croissance française pour retrouver le plein-emploi ».
- la problématique : « Nous devons augmenter notre croissance potentielle de l’ordre d’un point pour retrouver le plein emploi et préserver notre modèle social ».
- l’objectif : « On va libérer les énergies en France ».
que devaient suivre la commission.
La préface de Jacques Attali précise :
- La composition de la commission : Quarante-deux femmes et hommes, ayant des convictions politiques différentes et venus de tous les horizons et de plusieurs pays »
- La méthode de travail :
- « D’innombrables séances plénières ou restreintes » avec l’appui de plusieurs dizaines de rapporteurs ».
- Audition des centaines d’élus, de dirigeants d’institutions internationales, d’organisations professionnelles, d’associations, de syndicats, d’entrepreneurs, d’experts.
- « Nous avons ensuite réfléchi, avec les meilleurs spécialistes et avec toutes les administrations concernées, aux conditions d’une mise en œuvre réaliste de nos conclusions ».
- « Le rapport est le résultat d’un consensus. Tous les membres de la commission s’y sont ralliés, partageant l’ambition d’un accord unanime ».
- « Sa publication marque la fin d’une première étape. Commence maintenant celle de son éventuelle mise en œuvre ».
Une annexe intitulée « En Savoir plus » qui comporte trois parties différentes:
- Des commentaires concernant chacune des vingt décisions fondamentales,
- Un résumé rapide (une page maximum) et un peu caricatural des expériences de changement dans d’autres pays, et intitulé « Le monde bouge et pourquoi pas nous ? ». Les pays retenus sont : le Canada, le Royaume-Uni, l’Espagne, les pays scandinaves, les Etats-Unis, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal.
- Une présentation des quarante-deux membres de la commission. Chaque membre, en une page, se présente et donne son point de vue sur le fonctionnement et les résultats de la commission.
2. Méthodologie de présentation : une tentative de hiérarchiser les objectifs
2.1 Des objectifs hiérarchisés : 8 Ambitions, 20 décisions fondamentales, 111 objectifs, 316 décisions
Ambition 1 : Préparer la jeunesse à l’économie du savoir et de la prise de risque.
Décision fondamentale 1 : Se donner les moyens pour que tout élève maîtrise avant la fin de la sixième le français, la lecture, l’écriture, le calcul, l’anglais, le travail de groupe et l’informatique.
Objectif 1[1] : Doter tous les enfants des atouts nécessaires au monde.
Décision 1 : Améliorer la formation des éducateurs et des éducatrices de crèche et des assistantes maternelles, revaloriser leur diplôme et en augmenter le nombre.
Décision 2 : Repenser le socle commun des connaissances pour y ajouter le travail en groupe, l’anglais, l’informatique, l’économie.
Décision 3 : Prendre les moyens pour éviter les redoublements dans l’enseignement primaire.
Objectif 2 : Engager les établissements du primaire et du secondaire sur la réussite de tous leurs élèves.
Décision 4 : Accorder plus d’autonomie aux établissements primaires et secondaires.
Décision 5 : Evaluer les professeurs sur leur capacité à faire progresser tous les élèves.
Décision 6 : Permettre aux parents de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants.
Objectif 3 : Favoriser dans le secondaire l’éclosion de toutes les intelligences.
Décision 7 : Refonder l’information sur l’orientation sur les carrières et prendre davantage en compte les aptitudes non académiques.
Décision 8 : Développer les stages en entreprises.
Décision 9 : Lancer des concours d’innovation.
Décision 10 : Mettre en place au collège un service civique hebdomadaire[2].
Décision fondamentale 2 : Constituer 10 grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche autour de 10 campus, réels et virtuels, fixant les conditions d’excellence de l’ensemble du système de formation supérieur et de recherche.
Objectif 4 : Accompagner les étudiants dès leurs premières années universitaires.
Objectif 5 : Aider les étudiants à concilier leurs études avec leur emploi.
Objectif 6 : Investir davantage dans l’enseignement supérieur.
Objectif 7 : Faire émerger sur le territoire 10 grands pôles universitaires et de recherche de niveau mondial.
Objectif 8 : Ouvrir l’enseignement supérieur à l’international.
Objectif 9 : Rendre notre recherche plus compétitive[3].
Ambition 2 : Participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance.
Décision fondamentale 3 : Redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs de l’avenir : numérique, santé, énergies renouvelables, tourisme, biotechnologie, nanotechnologie, neurosciences.
Décision fondamentale 4 : Mettre en chantier dix Ecopolis, villes et quartiers d’au moins 50 000 habitants intégrant technologies vertes et technologies de communication.
Décision fondamentale 5 : Entreprendre dès maintenant la mise en place du très haut débit pour tous, à domicile, dans l’espace numérique de travail et dans l’administration.
Décision fondamentale 6 : Mettre en place les infrastructures nécessaires (ports, aéroports et place financière) et accroître l’offre et la qualité du logement social.
Ambition 3 : Améliorer la compétitivité des entreprises françaises en particulier des PME
Décision fondamentale 7 : Réduire les délais de paiement des PME par l’Etat et par les grandes entreprises, …
Décision fondamentale 8 : Créer par redéploiement une agence guidant dans un premier temps les TPE/PME de moins de 20 salariés dans leurs démarches administratives.
Ambition 4 : Construire une société de plein emploi
Décision fondamentale 9 : Renvoyer l’essentiel des décisions sociales à la négociation en modernisant les règles de représentativité et des financements des organisations syndicales et patronales
Décision fondamentale 10 : Mobiliser tous les acteurs pour l’emploi des jeunes,
Décision fondamentale 11 : Réduire le coût du travail pour toutes les entreprises en transférant une partie des cotisations sociales vers la CSG et la TVA.
Décision fondamentale 12 : Laisser à tout salarié le libre choix de poursuivre une activité sans aucune limite d’âge …
Ambition 5 : Supprimer les rentes, réduire les privilèges et favoriser les mobilités.
Décision fondamentale 13 : Aider les commerçants et les fournisseurs indépendants à prendre part efficacement à la concurrence tout en restaurant complètement la liberté des prix,…
Décision fondamentale 14 : Ouvrir très largement les professions réglementées à la concurrence, sans nuire à la qualité des services rendus.
Décision fondamentale 15 : Encourager la mobilité géographique et la mobilité internationale…. ( dans les secteurs en tension).
Ambition 6 : Créer de nouvelles sécurités à la mesure des instabilités croissantes.
Décision fondamentale 16 : Considérer la formation de tous les chercheurs d’emploi comme une activité nécessitant rémunération sous forme d’un « contrat d’évolution ».
Décision fondamentale 17 : Sécuriser la rupture amiable du contrat de travail.
Ambition 7 : Instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance
Décision fondamentale 18 : Créer des agences pour les principaux services publics,…
Décision fondamentale 19 : Renforcer les régions et les intercommunalités en faisant disparaître en 10 ans l’échelon départemental.
Ambition 8 : Ne pas mettre le niveau de vie d’aujourd’hui à la charge des générations futures
Décision fondamentale 20 : Réduire dès 2008 la part des dépenses publiques dans le PIB…
2.2 Un approche fonctionnelle des besoins ?
Le rapport Attali est totalement structuré autour de quatre niveaux hiérarchiques de points de vue ou d’objectifs que sont les 8 ambitions, les 20 décisions fondamentales, les 111 objectifs, les 316 décisions. Chacun de ces niveaux est formulé à partir d’un verbe à l’infinitif et un complément d’objet. Cette structuration du rapport Attali, sans s’en référer explicitement, correspond à ce que l’on appelle, dans la démarche de conception de projet, l’analyse fonctionnelle ou l’expression fonctionnelle des besoins. L’expression fonctionnelle des besoins peut s’appliquer à la conception de tout nouvel objet, que cet objet soit une machine, un produit de consommation, une organisation, ou un programme économique comme le rapport Attali.
2.3 Intérêts de l’approche fonctionnelle des besoins
2.3.1. Elle oblige à réfléchir d’abord en termes de services attendus ou d’objectifs attendus, de détailler la hiérarchie de ces objectifs avant, de penser aux solutions à mettre en œuvre.
Les fonctions s’expriment par un verbe à l’infinitif et un complément « Préparer la jeunesse à l’économie du savoir et de la prise de risque » pour l’ambition 1, « Sécuriser la rupture amiable du contrat de travail» pour la décision fondamentale 17, par exemples. Plus on descend dans la hiérarchie des fonctions plus on se rapproche de décisions opérationnelles.
Le premier niveau fonctionnel (les ambitions dans le cas du rapport Attali) est censé rendre compte des objectifs principaux qui sont attendus du projet ; chaque objectif principal est décomposé en sous objectifs de niveau 2 (les décisions fondamentales dans le cas du rapport Attali) dont la réalisation permettront de satisfaire l’objectif principal. Il en est de même des sous objectifs de niveau 3 (les objectifs dans le cas du rapport Attali) et ainsi de suite jusqu’aux décisions opérationnelles qui peuvent plus ou moins détaillées.
2.3.2. L’approche fonctionnelle permet d’expliciter le passage d’objectifs généraux à la réalisation détaillée d’un projet.
Dans le rapport Attali, la hiérarchie des objectifs n’est pas toujours respectée. On peut noter que des solutions sont déjà proposées et définies dans le haut de la hiérarchie des objectifs. Par exemple, l’objectif 6 (investir davantage dans l’enseignement supérieur) de niveau hiérarchique 3 est un objectif plus général que la décision fondamentale 2 (Constituer 10 grands pôles d’enseignement supérieur et de recherche) qui appartient pourtant au deuxième niveau hiérarchique.
La relation entre les niveaux hiérarchiques n’est pas toujours évidente. Par exemple, il n’est pas évident de comprendre comment la décision fondamentale 4 (mettre en chantier dix Ecopolis) qui appartient au deuxième niveau hiérarchique, pourra permettre de réaliser l’ambition 2 (participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance) de niveau hiérarchique 1.
2.3.3. L’analyse fonctionnelle permet d’apprécier et d’évaluer la cohérence globale d’un projet et donc de sa capacité à être mise en œuvre et à répondre aux objectifs attendus.
Par exemple, il est difficile de comprendre comment la décision 6 « Permettre aux enfants de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants » permet de réaliser l’objectif 2 « engager les établissements du primaire et du secondaire sur la réussite de tous leurs élèves ».
2.3.4. L’approche fonctionnelle nécessite l’implication des différentes parties prenantes du projet
Recenser l’ensemble des fonctions attendues d’un produit est une opération longue qui nécessite une diversité d’expertises. La définition des fonctions comme l’ensemble de l’analyse fonctionnelle est toujours un travail à faire au sein d’une équipe qui rassemble plusieurs points de vue différents sur le produit à concevoir, ceci est d’autant plus important s’il s’agit d’un programme économique. L’approche fonctionnelle des besoins nécessite une méthode de gouvernance de projet qui permette la prise en compte des différentes parties prenantes : les utilisateurs, les différents acteurs qui auront la charge de le mettre en œuvre et de le faire fonctionner.
2.3.5. L’approche fonctionnelle nécessite de définir les critères d’évaluation des fonctions ou des besoins
Un autre intérêt de l’approche fonctionnelle des besoins est d’obliger pour chaque fonction ou objectif retenu de préciser le ou les critères qui permettront de savoir si le projet une fois réalisé permet de satisfaire tel ou tel objectif ou fonction. On ne peut que constater l’absence d’une telle préoccupation dans le texte du rapport Attali.
3.Résumé du diagnostic et des principales propositions (solutions) du rapport
Le diagnostic et les recommandations qui sont explicités dans le rapport de la Commission, sont ceux que l’on retrouve dans de nombreux rapports publiés depuis quelques années : rapport Virville et Camdessus (2004), Pébereau (2005).
3.1 Diagnostic
Le déclin dont souffrirait la France est avant tout lié au poids du « modèle hérité de l’après-guerre », qui aurait engendré de nombreux « conservatismes » et « privilèges ».
La croissance française serait bridée par un système de formation inadapté, un poids excessif des dépenses publiques, une fiscalité pesant sur les coûts du travail et la compétitivité, une mobilité insuffisante sur le marché du travail.
3.2 Solutions
- Réformer l’enseignement pour favoriser l’avènement d’une économie du savoir.
- Réduire de un point par an la part des dépenses publiques dans le PIB.
- Abaisser le coût du travail en fiscalisant le financement de la protection sociale à travers la hausse de la CSG et de la TVA.
- Assurer une « flexisécurité » du travail, allonger la durée du travail et accroître le taux d’emplois des seniors.
- Déréglementer certaines professions pour créer de nouveaux emplois (taxi, coiffeur, pharmacie,…).
- Augmenter le pouvoir d’achat par la généralisation de la concurrence dans le secteur de la distribution.
3.3 Commission pour la "libération de la croissance" ou la "libéralisation de la croissance" ?
La Forge, un groupe de réflexion français, créé par des universitaires, intellectuels, praticiens de l’administration et de la société, a publié le 24 janvier 2008, une contre expertise[4] du rapport Attali dont les deux principales conclusions sont :
- « Un rapport politique, un parti pris évident en faveur de recettes libérales classiques ».
- « Tout le rapport Attali, s’inscrit dans cette voie d’une individualisation croissante des rapports sociaux : du salarié à l’employeur, de l’étudiant au professeur, du citoyen à l’Etat ».
3.4 Un diagnostic et des propositions structurées par des images mentales fortes
Il nous faut souligner ici le poids des images suggérées par les mots et les concepts que nous utilisons : « libérer la croissance » implique que la croissance est enfermée, prisonnière de nos mentalités et institutions rétrogrades, mais la croissance est potentiellement là au sein de nos sociétés. Il suffit de la libérer pour qu’elle puisse s’épanouir. !!! Il nous faut savoir[5] que les images mentales que nous utilisons sont très fortement structurantes par rapport aux discours rationnels que nous construisons à partir de ces images mentales. Ces images sont porteuses de nos idéologies, de nos valeurs, et influencent à notre insu toutes nos constructions intellectuelles, tous nos discours. Il serait important et urgent en sciences économiques, comme dans toutes les sciences, de mener une analyse critique sur ces images mentales que nous utilisons et mobilisons pour penser et qui influencent nos discours.
4. Croissance, Développement
4.1 Rapport Attali : la croissance pour la croissance
Comme l’indique son sous titre le rapport est tout orienté pour "libérer la croissance".
Ce rapport affiche une certaine conception de ce qu’est la croissance économique et cette conception est partagée par de nombreux économistes qu'ils soient néo-classiques ou hétérodoxes : la croissance est un processus quasi naturel et interne aux sociétés modernes, ce processus se met en place dans les sociétés qui savent se libérer des freins à la croissance et le principal frein à la croissance est le refus du changement. Les sociétés traditionnelles ne connaissent pas de croissance.
La croissance serait un processus naturel, une force naturelle aux sociétés qui ne demandent qu’à être libérés. Plusieurs parties du texte suggèrent une telle vision de la croissance :
« Le monde est emporté par la plus forte vague de croissance économique de l’histoire, créatrice à la fois de richesses inconnues et d’inégalités extrêmes, de progrès et de gaspillages, à un rythme inédit. L’humanité en sera globalement bénéficiaire (..) Plus de 100 pays dans le monde ont aujourd’hui un taux de croissance du PIB supérieur à 5%. (…). L’avenir réserve au monde un potentiel de croissance plus considérable encore : des progrès techniques majeurs s’annoncent, venus du Sud comme du Nord ; la population mondiale va augmenter de 3 milliards de personnes en moins de 40 ans et un énorme capital financier est disponible. Si la gouvernance politique, économique, commerciale, environnementale, financière et sociale sait s’organiser, la croissance mondiale se maintiendra durablement au-dessus de 5% par an » (résumé p12)
« Plus de croissance économique entraînera des progrès concrets pour chacun des Français, qu’il appartiendra à chaque majorité politique de distribuer selon ses choix » p 16
Plus le gâteau de la croissance est gros plus la part de chacun augmente ; la seule différence politique concernerait les parts respectives à distribuer.
Les nombreuses références empruntées au modèle britannique, l’admiration de la croissance de pays tels que la Chine, laissent croire que la croissance serait un phénomène naturel aux sociétés qui sont capables de laisser s’exprimer les forces du marché. Que chaque individu, chaque pays, cherche à s’enrichir et la croissance sera au rendez vous.
4.2 Une nécessaire réflexion sur la croissance et le développement économique est à remettre à l’ordre du jour
« Il ne faut pas confondre croissance et développement, même si ces deux notions sont liées »[6].
« Ce que les économistes entendent communément par croissance économique, c’est au sens strict, la croissance du produit par tête d’habitant. Il faut cependant constater que le terme de croissance économique fait très peu l’objet de définitions »[7]
Plus généralement, la croissance économique est l’élévation de différentes grandeurs marquant l’activité économique d’une unité économique donnée : une entreprise, une activité industrielle ou de service, un pays, une région, une ville.
Si on reprend la définition de la croissance d’un pays à partir du PIB, la croissance prétend mesurer sa production de biens et de service d’un pays sur une période d’un an. Pour le rapport Attali, « La croissance de la production est la seule mesure opérationnelle de la richesse et du niveau de vie disponible, permettant de comparer les performances des différents pays » (résumé p11)
4.2.1 La croissance du PIB et la valeur ajoutée
Le PIB ne mesure pas la richesse d’un pays comme on le lit trop souvent dans des ouvrages et des revues écrits par d’éminents économistes.
Le PIB est la somme des valeurs ajoutées produites par les entreprises et les administrations. Dans une entreprise la valeur ajoutée est la différence entre son chiffre d’affaire (c'est-à-dire la somme de ses ventes) et la valeur monétaire de ses consommations intermédiaires (c'est-à-dire ses achats de biens et de services requis pour sa production). La valeur ajoutée d’une entreprise permet de mesurer le surplus monétaire engendré par l’activité de l’entreprise.
La valeur ajoutée d’une entreprise permet d’expliciter deux aspects différents mais inséparables de l’entreprise. Elle permet d’apprécier sa contribution propre dans une filière de production (des matières premières au produit final), c'est-à-dire de mesurer la valeur monétaire de son activité de production. Elle permet aussi d’apprécier la capacité de l’entreprise à distribuer des revenus. En effet, la valeur ajoutée constitue la base à partir de laquelle les différentes « ayants droits » concernés par l’entreprise pourront être rémunérés. Ces ayant droits sont :
- Les salariés.
- Les bailleurs de fonds externes (prêteurs).
- L’Etat et autres collectivités publiques (impôts, taxes,..).
- Les propriétaires (bénéfices distribués aux actionnaires, amortissements des investissements et mis en réserve pour l’auto-financement).
La VA est un moyen et non la finalité de l’entreprise
La valeur ajoutée d’une entreprise mesure le surplus monétaire engendré par l’activité de l’entreprise et qui lui permet de faire face à ses obligations par rapport à ses salariés, ses actionnaires, aux collectivités territoriales et qui lui permet d’assurer la pérennité et le développement de l’activité de l’entreprise. La valeur ajoutée n’est pas la finalité de l’entreprise. Le surplus monétaire que représente la valeur ajoutée lui permet de faire face à ses obligations et de préparer sa stratégie de développement pour les années à venir.
Le PIB en tant que somme des valeurs ajoutées des entreprises et des administrations n’est lui aussi qu’un surplus monétaire dégagé par les entreprises et les administrations d’un pays sur une période d’un an; il permet d’apprécier d’une part la valeur monétaire des produits et services et d’autre part les revenus distribués. Le PIB permet d’apprécier la capacité d’un pays à se reproduire à l’identique et à financer ses nouveaux projets.
4.2.2 Le développement économique
Dans la plupart des ouvrages économiques qui traite du développement, il est dit que le développement économique correspond à un changement qualitatif d’une économie donnée : « Le développement correspond à l’ensemble des transformations techniques, sociales et culturelles qui permettent l’apparition et le prolongation de la croissance économique »[8]. Le développement serait de l’ordre du changement qualitatif qui surviendrait dans les sociétés qui connaissent une croissance. Cette définition du développement, généralement acceptée, est bien insuffisante pour comprendre les processus et les enjeux qui sont impliqués par ce qu'on appelle les politiques de développement.
Si la croissance se constate, si c’est un résultat qu’on ne peut mesurer qu’à posteriori, le développement économique est d’une nature toute différente. Le développement économique s’inscrit d’abord dans un projet politique pour une société donnée. Il n’y a pas de développement économique sans projet politique, même lorsque ce projet n’est pas explicité comme dans le cas du libéralisme économique. Avant d’être un ensemble de décisions et de règles économiques, le libéralisme est un projet politique, il implique et promeut une certaine conception de l’individu et de la société. Plus généralement, il n’y a pas d’économie sans économie politique. Pour reprendre la compréhension de l’économie prônée par Karl Polyani, l’économie est complètement enchâssée dans une société donnée.
Le développement est un projet politique mais aussi économique parce que les ressources monétaires, humaines, naturelles ne sont pas illimitées, ce projet doit donc réaliser des arbitrages entre différentes priorités, différents objectifs (ou fonctions).
Le développement est un projet politique et économique et comme tout projet, le développement est le résultat d’un processus de conception et de réalisation ; ce n’est pas un processus naturel. Comme tout projet, un développement ou un programme économique est susceptible d'être explicité et évalué à partir d'une démarche relevant de l'analyse fonctionnelle des besoins (voir le paragraphe du présent texte).
4.3.3 La croissance est au service du développement
La croissance est au développement ce qu’est la production de la valeur ajoutée pour une stratégie d’entreprise
Aujourd’hui il n’est plus concevable qu’une entreprise industrielle puisse se pérenniser sans définir une stratégie à moyen terme en matière de produits ou de services, de marchés et de clients à conquérir. C’est en fonction d’une telle stratégie et des résultats attendus en termes de valeur ajoutée que l’entreprise définira des orientations et prendra des décision en matières d’investissements et de ressources humaines.
Depuis que le capital financier est devenu de plus en plus dominant dans la vie économique des entreprises, on peut percevoir l’affirmation d’une nouvelle stratégie d’entreprise : produire plus de valeur ajoutée et surtout plus de valeur ajoutée pour les actionnaires. C’est la croissance pour la croissance, en privilégiant d’abord la part du gâteau pour les actionnaires.
Croissance et développement, le cas d’une ville
La croissance économique d’une ville peut se mesurer par l’évolution du nombre de ses habitants et par le nombre des entreprises localisées sur son territoire. La croissance d’une ville à partir de ces critères permet d’augmenter ses ressources financières par les impôts et taxes. Mais il ne viendrait pas à l’idée d’un maire de vouloir se faire élire sur ce seul aspect de la croissance. Le développement d’une ville, ce sont des choix politiques et économiques qui vont se concrétiser par la conception et la réalisation de programmes de logements, d’aménagements urbains, de zones d’activité, de santé, de luttes contre les formes d’exclusion, d’environnement, ….
4.4 Le rapport Attali : des objectifs de développement au service de la croissance
Bien que le rapport Attali ait pour principale préoccupation la libération (mais aussi la libéralisation) de la croissance française, on aurait pu s’attendre de par son approche fonctionnelle des besoins à trouver des orientations en matière de développement économique. Il serait faux de dire que ces perspectives de développement sont absentes, mais elles sont toutes orientées par rapport à la finalité annoncée : la libération de la croissance. Au lieu que la croissance soit considérée comme le moyen d’un développement économique à définir, c’est une série d’ambitions de développement économique, juxtaposées les unes à coté des autres, qui sont vues comme le moyen de libérer la croissance. L'économie fonctionne la tête à l'envers.
4.4.1 Santé et croissance
« La France doit considérer les dépenses de santé comme une opportunité de croissance et non plus comme une charge »(p19)
Plus la santé se détériore, plus la croissance augmente !!! Plus on pollue, plus la croissance augmente, c’est la même logique.
4.4.2 Baisse des prix à la consommation et croissance
Le rapport Attali prône un modèle de consommation "low cost", qui propose de consommer toujours plus en consommant toujours moins cher. Une proposition insoutenable et mal venue au moment où les exigences du développement durable devraient nous inciter à satisfaire nos désirs de manière plus économe[9].
Ambition 5 : Supprimer les rentes, réduire les privilèges et favoriser les mobilités
Décision fondamentale 13 : Aider les commerçants et les fournisseurs indépendants à prendre part efficacement à la concurrence tout en restaurant complètement la liberté des prix,…
Objectif 69 : Lever les barrières dans la grande distribution, l’abrogation des lois Galland, Royer et Raffarin, qui ont réduit la concurrence sur ce secteur, entraînant une hausse des prix et une baisse du pouvoir d’achat (p152).
Mais on ne trouve rien sur la qualité des produits, sur les conséquences de la qualité des produits sur la santé et l’augmentation des coûts de santé, (c’est une opportunité pour la croissance ).
Décision fondamentale 14 : Ouvrir très largement les professions réglementées à la concurrence, sans nuire à la qualité des services rendus
Objectif 76 : réformer les professions aujourd’hui réglementées « Certaines professions ont déjà été ouvertes à la concurrence avec succès. Ainsi, jusqu’en 1986, tout camion roulant plus de 150 kilomètres devait posséder une licence, délivrée par l’Etat en nombre limité. En outre la " tarification routière obligatoire" maintenait des prix élevés ; La suppression de cette réglementation a fait passer le rythme de croissance de l’emplois dans ce secteur de 1,5% par an avant 1986 à plus de 5% par an de 1986 à 1990 (4% par an depuis 1994) » p 162.
Mais on ne trouve rien dans le rapport sur les emplois perdus dans le transport de marchandise par la SNCF et sur les potentiels de développement du ferroutage.
Concernant l’ambition 5 (Supprimer les rentes) le rapport est muet sur les rentes des propriétaires du sol, de l’immobilier, qui grâce à une gestion libérale des prix empochent une plus-value au détriment de la majorité des ménages (les dépenses de logement constituent le premier poste des dépenses des ménages et 25% de leur budget p.138). Par contre, le logement est abordé dans le chapitre 4 concernant la mobilité géographique. Il faut construire plus et mieux pour augmenter la mobilité du travail, cette dernière est vue comme un facteur de libération de la croissance.
4.4.3 Low cost aérien
Ambition 2 : Participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance,
Décision fondamentale 6 : mettre en place les infrastructures nécessaires (ports, aéroports et place financière).
Objectif 37 : Faire de la France un nœud majeur de communication en europe.
Décision 104 : développer le low-cost aérien « le low-cost est un puissant levier de croissance : il libère du pouvoir d’achat, offre de nouvelles opportunités de déplacement et participe au développement local » p 101.
Mais on ne trouve rien sur l’impact du développement du transport aérien sur la croissance des gaz à effet de serre et sur le transport ferroviaire à grande vitesse comme solution pour les transports au sein de l’Europe.
Il est temps que nous réfléchissions sur les alternatives pour définir ce qu'est la richesse économique pour un individu, pour un pays, et il nous faut, pour cela, préciser ce qui peut constituer la valeur économique d’un bien ou d’un service. Les concepts de richesse, de valeur économiques sont tellement utilisés et répétés dans des perspectives très différentes et sans que leurs contenus en soient précisés qu’ils sont aujourd’hui vides de sens.
5. Richesse et valeur
Le rapport pour la libération de la croissance française affirme, sans détour, que « La croissance de la production est la seule mesure opérationnelle de la richesse et du niveau de vie disponible, permettant de comparer les performances des différents pays » (résumé p11).
Dans le prolongement des débats soulevés notamment par les travaux de la commission Attali, Nicolas Sarkozy a annoncé, en janvier 2008, la création d’une commission pour réfléchir « sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives ». Il a demandé au prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz de présider cette commission, et au prix Nobel d’économie, Amertya Sen de participer en tant que conseiller ; la coordination est assurée par Jean-Paul Fitoussi , président de l’OFCE (Observatoire Français des conjonctures économiques).
Il est important de souligner que le prix n’exprime pas la valeur économique d’un bien, il rend compte de sa valeur d’échange à un moment et dans un environnement donnés. Si le prix ne permet pas de rendre compte de la valeur économique d’un bien et plus généralement de la richesse, qu’elles sont les alternatives ? Dominique Méda, dans son ouvrage Qu’est ce la richesse ? a lancé des pistes mais sans conclure. Personnellement, devant l’incapacité des sciences économiques de répondre aujourd’hui aux principaux défis soulevés par le modèle économique des pays industrialisés, j’ai essayé, sans grand succès de remettre au cœur des débat des économistes, la question de la valeur économique, par la publication en 2004 d’un ouvrage intitulé Valeurs et développement durable, questionnement sur la valeur économique.
6. L’innovation technologique au secours des blocages sociaux économique et comme base d'une nouvelle croissance.
Six des vingt propositions fondamentales, portent sur la nécessité de préparer, très tôt, la jeunesse à l’économie du savoir et de transformer la France en un « champion de la nouvelle croissance ». « De notre capacité à innover dépendront notre croissance et notre place dans la compétition mondiale. Formation, transmission des savoirs et qualification permanente sont donc les conditions premières de notre réussite ». Les auteurs du rapport ont été fortement inspirés par la stratégie européenne de Lisbonne (2000) et le modèle finlandais de recherche et d’innovation. « La France doit en particulier formuler et mettre en œuvre une stratégie numérique ambitieuse, à l’instar de certains pays nordiques et des nouvelles puissances asiatiques ».
Ambition 2 : Participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance
Décision fondamentale 3 : Redonner à la France tous les moyens (dont ceux de la recherche) pour prendre une place de premier rang dans les secteurs de l’avenir : numérique, santé, énergies renouvelables, tourisme, biotechnologie, nanotechnologie, neurosciences.
Décision fondamentale 4 : Mettre en chantier dix Ecopolis, villes et quartiers d’au moins 50 000 habitants intégrant technologies vertes et technologies de communication.
Décision fondamentale 5 : Entreprendre dès maintenant la mise en place du très haut débit pour tous, à domicile, dans l’espace numérique de travail et dans l’administration.
Décision fondamentale 6 : Mettre en place les infrastructures nécessaires (ports, aéroports et place financière) et accroître l’offre et la qualité du logement social
Mais on ne trouve pour ainsi rien sur les innovations sociales et politiques qui devront être mises en œuvre pou mobiliser les énergies et la volonté des citoyens pour sortir des impasses d’une croissance pour la croissance et pour commencer à construire un développement durable qui permette de réellement commencer à lutter contre les atteintes environnementales et les inégalités sociales.
Conclusion
En guise de conclusion, on laissera la parole à Théodore Zeldin, historien et sociologue à l’université d’Oxford et un des quarante deux membres de la commission pour la libération de la croissance.
Théodore Zeldin est le seul membre de la commission à avoir manifesté dans l’annexe du rapport, son désaccord avec les perspectives définies par la commission Attali. « J’ai eu grand plaisir à participer à l’élaboration de ce rapport, bien que ma perspective soit différente de celle adoptée par la commission. La plupart de mes collègues voient le pays comme ayant des problèmes propres à la France. Ils sont grandement influencés par les statistiques comparant défavorablement les performances de la France à celles d’autres pays. Ils reportent ses faiblesses sur l’organisation des institutions du pays, concentrant leurs solutions sur les procédures, les finances, la formation et l’administration (…) ce qu’ils considèrent comme le malaise de la France est pour moi le symptôme d’une épidémie qui a touché la plupart des pays développés. Et dont une administration défectueuse n’est pas la cause principale ».
Théodore Zeldin nous propose un autre regard sur la France, merci à lui.
« La prospérité, comme le bonheur ne vient pas à ceux qui la cherchent mais à ceux qui l’apportent aux autres. La France est devenue riche quand elle a offert aux étrangers une combinaison d’originalité et d’élégance qui a sublimé l’art de vivre et quand elle a su transformer sa quête de réponses à ses problèmes en solutions significatives pour toutes les autres nations ».
Pour cet universitaire d’Oxford, le plus grand obstacle à la croissance à l’échelle mondiale, est notre incapacité à comprendre comment pensent les différentes civilisations, disciplines, professions, spiritualités : « Aujourd’hui la France pourrait jouer un rôle innovant en face de la mondialisation, non pas en lui résistant ou en s’y adaptant, mais bien en la redessinant à l’aune d’une vision différente des interactions entre les civilisations (…°) La France devrait devenir l’intermédiaire culturel du monde en créant une institution internationale exceptionnelle, offrant ce dont tout le monde a aujourd’hui besoin : la capacité de comprendre comment pensent les différentes disciplines, professions et civilisations, comment les différentes branches de la science, de l’art, de la spiritualité, de la jurisprudence, des affaires, de l’industrie appréhendent les problèmes, et comment les dernières recherches ont ouvert de nouvelles perspectives. Ce pourrait être une réponse à la faiblesse de la communication qui est aujourd’hui le plus grand obstacle à la croissance». Une telle institution internationale aurait pour objectif de « combattre la plus étendue des maladies qu’est l’ignorance mutuelle ».
« Suivre l’exemple des autres mène à la caricature, rarement au succès. La France est précieuse dans le monde parce qu’elle a toujours aimé réfléchir en toute indépendance à la manière dont l’art de vivre peut être continuellement embelli ».
[1] Seuls les objectifs ne sont pas numérotés dans le rapport, la numérotation des objectifs a été faite par l’auteur du présent texte.
[2] Les dix premières décisions ont été rappelées ici à titre d’exemples, pour découvrir les autres décisions se rapporter au texte de la commission Attali.
[3] Les neuf premiers objectifs ont été rappelés ici à titre d’exemples, pour découvrir les autres objectifs se rapporter au texte de la commission Attali.
[5] La thèse que nous pensons d'abord en images avant de penser en mots est confirmée par des travaux en psychologie et linguistique cognitive. (voir Les grands dossiers des Sciences Humaines, n°10, p.28-31)
[6] Jean Capul, Dictionnaire d’Economie, Hatier, Paris 2002 p.126,
[7] Jean-Louis Levet Sept leçons d’économie à l’usage du citoyen, Seuil, Paris 1999, p.284
[8] Jean Capul, op. cit. p.126
[9] voir dossier « Consommation : toujours plus », in Alternatives économiques N°267 mars 2008