Les bases physiologiques du stress et de la détente. Pourquoi il est important d'être en relation avec son corps et ses émotions.

A partir des travaux de David Servan-Schreiber sur la médecine des émotions
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Numéro de la publication: 
N° 114 et 115
Date de parution: 
Octobre 2004

 

Quelques constats

 

-« Les études cliniques suggèrent que 50 à 75% de toutes les consultations chez le médecin sont motivées avant tout par le stress, et que, en termes de mortalité, le stress est un facteur de risque plus grave que le tabac. »[1]

- « Parmi les médicaments les plus utilisés dans les pays occidentaux, une majorité vise à traiter les problèmes directement liés au stress : ce sont des antidépresseurs, des anxiolytique et somnifères, des antiacides pour les brûlures et ulcères d’estomac, des antihypertenseurs, et anticholestérol »[2]

- « Des études nombreuses et solides établissent que les malades qui ont « réglé » les traumatismes anciens, qui savent contrôler leurs émotions et garder le goût de vivre, optimisent leurs chances de guérison. Ils vivent statistiquement plus longtemps et dans une meilleure condition physique que si leur esprit était en proie au chao. Pourquoi ? Parce qu’ils donnent à leur système immunitaire toutes les armes dans une mission où il excelle d’ailleurs : la lutte contre les bactéries, les virus, les allergènes et les cellules cancéreuses. Notre organisme est totalement imbriqué avec notre psychisme, et il est aberrant de prétendre soigner les problèmes du premier en mettant le second entre parenthèse »[3].

 

 

Le stress comme situation d'hostilité internalisée dans son propre corps

 

David Servan-schreiber, auteur du livre "Guérir", a proposé dans un interview[4], une définition psychologique du stress « c'est ce que nous ressentons quand les demandes qui nous sont imposées excèdent notre capacité à faire face » (exemples : être pris dans un embouteillage, ou dans une file d'attente dans un grand magasin, alors que nous avons un rendez vous important). Il a donné aussi une description des manifestations physiologiques du stress qui est « un état où la tension musculaire, la tension artérielle, le rythme cardiaque et la sécrétion de cortisol et d'adrénaline augmentent sans effort physique ».

 

Tous ces paramètres (tension musculaire, tension artérielle, rythme cardiaque, sécrétion de cortisol et d’adrénaline) montent en flèche quand on fait un exercice physique, c'est l'effet normal de l'effort physique; qui s'évanouit dès que l'effort s'arrête. La croissance de tous ces paramètres a une profonde justification biologique et s’inscrit dans l’histoire de l’homme. Notamment, l'hypersécrétion d'adrénaline et de cortisol provoque un état inflammatoire et des facteurs de coagulation du sang qui étaient indispensables lorsque l’homme devait se préparer au combat ou fuir devant le danger, lorsque sa survie dépendait de sa capacité à gérer des situations d’hostilité. « L'adrénaline renforce la vigilance, la tension artérielle fournit en oxygène les grands groupes musculaires, la coagulabilité du sang limite les saignements en cas de blessure. Quand il s'agissait de chasser le bison, ou d'échapper à un tigre, ces réactions faisaient merveilles. L'énergie accumulée par l'organisme se dépensait rapidement dans l'action physique. ».

 

Tous ces paramètres (tension musculaire, tension artérielle, rythme cardiaque, sécrétion de cortisol et d’adrénaline)  augmentent aussi en flèche dans les situations de stress, c'est-à-dire dans les situations qui engendrent une impression de vivre une situation d’hostilité et d’agression sans pouvoir déboucher sur une activité corporelle, dans les situations qui développent un sentiment d’une incapacité à réagir physiquement. C’est notamment l’augmentation de la coagulabilité du sang provoquée par l’augmentation de l’adrénaline, qui contribue, dans les situations de stress, au développement des plaques d'athérome sur les parois des vaisseaux, avec risque de thrombose.

 

C'est une des raisons pour lesquelles un minimum d'exercice physique est recommandé aux personnes qui maîtrisent mal les situations de stress ou aux malades cardio-vasculaires : il faut dissiper le stress"  Selon David Servan Schreiber[5], la pratique du yoga et de la méditation est aussi fort utile pour le traitement de patients qui risquent des attaques cérébrales parce que leurs carotides sont pleines de plaques d'athérome. Depuis le milieu des années 70, le cardiologue Dean Hanish intègre le yoga au traitement de ses malades. Des études ont montré que les plaques ont commencé à fondre après seulement six mois de méditation.

 

 

Le stress comme résultat des fluctuations du mental, du « vagonbondage cérébral ».

 

Les travaux de David Servan Schreiber, permettent de mieux comprendre la méthode de Roger Vittoz[6], médecin suisse, qui à mis au point, il y a plus d’un siècle, une méthode thérapeutique pour apprendre à contrôler le "vagabondage cérébral" en utilisant nos cinq sens et notre conscience corporelle[7].

Pour R. Vittoz le cerveau aurait une fonction réceptive, grâce à laquelle depuis l’enfance nous constituons notre mémoire et une fonction émissive grâce à laquelle nous élaborons nos pensées. Ces deux fonctions ont des effets différents sur notre corps selon que le cerveau est en état passif ou en état actif. Lorsqu’il est en fonction réceptive active, il ordonne la sécrétion de dopamine et des endorphines entre autres, qui ont le rôle d’apaiser le système nerveux ; C’est une forme de recharge de tout le système. Pour la fonction émissive, soit la personne est active, elle dirige son émissivité (« concentration ») et les substances libérées facilitent et tonifient cette activité, soit la personne est passive et le cerveau fonctionne en roue libre (« vagabondage cérébral ») et « va faire libérer de l’adrénaline et des cortisols pour faire fasse à l’agitation au stress, substances indispensables pour la survie mais qui puisent dans le stock d’énergie ». Pour Roger Vittoz, « la pensée est émissive, la conscience est réceptive », c'est-à-dire que lorsque notre cerveau émet des pensées d’une manière contrôlée ou non contrôlée, il est en position d’émission, et lorsqu’il est à l’écoute des cinq sens du corps et des émotions inscrites dans le corps (état de conscience du corps), il est en position de réception,. Sa méthode consiste à re-éduquer notre faculté de réceptivité : sentir les actes que l’on fait (et non les penser), voir , entendre, toucher, consciemment. Un des apports de Roger Vittoz est donc d’avoir attiré l’attention sur les situations de stress qui peuvent être créées sans évènement extérieur apparent, et qui sont le résultat de la dispersion de notre mental[8] (« vagabondages cérébral »), en situation éveillée ou en situation d’endormissement plus ou moins profond. On peut noter que les fondements de la méthode Vittoz (être en relation avec son corps, développer la conscience de son corps) sont très proches de ceux du yoga.

 

 

Cerveau émotionnel et le néocortex (cerveau de la pensée)

 

Dans son livre Guérir, David Servan-Schreiber présente une nouvelle approche pour soulager la dépression, l’anxiété et le stress, à partir de méthodes qui font surtout appel au corps plutôt qu’au langage (pyschanalyse). Les grands principes de son approche ou de son programme de recherche sont[9] :

-« A l’intérieur du cerveau se trouve un cerveau émotionnel, un véritable cerveau dans le cerveau. Celui-ci a une architecture différente[10], une organisation cellulaire différente, et même des propriétés biochimiques différentes du reste du néocortex, c'est-à-dire la partie la plus évoluée du cerveau, et qui est le siége de la conscience, du langage et de la pensée »[11].

-« Le cerveau émotionnel contrôle tout ce qui régit le bien-être psychologique et une grande partie de la physiologie du corps : fonctionnement du cœur, la tension artérielle, les hormones, le système digestif et même le système immunitaire »[12]. « Le cerveau émotionnel est plus intime avec le corps qu’il ne l’est avec le cerveau cognitif. C’est pour cette raison qu’il est souvent plus facile d’accéder aux émotions par le corps que par la parole ».[13]

-« Les désordres émotionnels sont la conséquence de dysfonctionnements de ce cerveau émotionnel. Pour beaucoup, ces dysfonctionnements ont pour origine des expériences douloureuses vécues dans le passé, sans rapport avec le présent, qui se sont imprimées d’une façon indélébile dans le cerveau émotionnel. Ce sont souvent ces expériences qui continuent souvent de contrôler notre ressenti et  notre comportement, parfois plusieurs dizaines d’années plus tard. »[14]

-« On sait depuis peu que l’intestin et le cœur ont leurs propres réseaux de neurones qui sont comme de petits cerveaux à l’intérieur du corps. Ces cerveaux locaux sont capables d’avoir leurs propres perceptions, de modifier leur comportement en fonction de celles-ci, et même de se transformer à la suite de leurs expériences, c'est-à-dire, d’une certaine manière de former leurs propres souvenirs »[15]. Il y a de très fortes relations entre le réseau semi-autonome des neurones du cœur (ou de l’intestin) et le cerveau proprement dit, et on peut parler par exemple d’un véritable "système cœur" et au sein de ce système, les deux organes s’influencent à chaque instant. Parmi les mécanismes qui relient le cœur et le cerveau, le système nerveux autonome joue un rôle particulièrement important. Celui-ci est constitué de deux branches. La branche dite sympathique, qui libère de l’adrénaline et de la noradrénaline. Elle contrôle les réactions de combat et de fuite. Son activité accélère le système cardiaque. L’autre branche dite parasympathique libère un neurotransmetteur différent (l'acetylcholine) qui accompagne les états de relaxation et de calme. Son activité ralentit le cœur.[16] Ce qui est passionnant avec le "cerveau cœur" c’est qu’il est sensible aux émotions (le cœur bat différemment lorsque nos émotions changent sous l’effet d’évènements externes ou internes ).

 

 

La cohérence cardiaque et le stress

 

Dans le programme de recherche de David Servan-schreiber l'observation de la "variabilité du rythme cardiaque" (variabilité du nombre de battements du cœur par minutes) tient une place importante. Chez tout individu les battements du cœur peuvent passer, d'un instant à l'autre de 60 battements par minutes à 70, puis redescendre à 55 sans que l'individu ait conscience (dans la plupart des cas)  du changement et surtout sans discerner le pourquoi.

 

Les observations montrent que dans les états de stress, d’anxiété et de dépression ou de colère, la variabilité du rythme cardiaque devient irrégulière et « chaotique ». Dans les états de bien-être et de compassion, ou de gratitude, cette variabilité devient  « cohérente » : l’alternance d’accélérations et de décélérations du rythme cardiaque est régulière. Il a été observé que la cohérence cardiaque (alternance régulière d'accélérations et de décélérations) maximise l"amplitude des variations du rythme cardiaque (différence entre les rythmes cardiaques en périodes d'accélération et de décélération) au cours d’un intervalle de temps donné et conduit à une plus grande et plus saine variabilité cardiaque. En effet, il a été observé que la baisse de la variabilité des battements du cœur est associée à un ensemble de problèmes de santé lié au stress et au vieillissement / l’hypertension, l’insuffisance cardiaque, l’infarctus, et même le cancer.

Le Hearmath Institute en Californie a mis au point une méthode pour améliorer la cohérence cardiaque. Dans la première étape de la méthode on retrouve des pratiques développées par le yoga, et plus généralement par les méthodes de relaxation, qui consistent à tourner son attention vers l’intérieur de soi et à pratiquer des respirations lentes et profondes. « D’emblée, celles-ci stimulent le système parasympathique et font un peu pencher la  balance du coté du frein physiologique. Pour que l’effet soit maximal, il faut laisser son attention accompagner le souffle tout au bout de l’expiration et la laisser faire une pause de quelques secondes avant que l’inspiration suivante ne se déclenche d’elle-même. Il faut en fait se laisser porter par l’expiration jusqu’au point où elle se transforme en une sorte de douceur et de légèreté ». La deuxième étape de la méthode est de penser mentalement qu’on respire par le cœur, que l’inspiration lui apporte l’oxygène dont il a besoin et que l’expiration le libère de tous les déchets. La troisième étape consiste à se connecter à la sensation de chaleur ou d’expansion qui se développe dans la poitrine et de l’accompagner et de l’encourager avec la pensée et le souffle.

 

Agir sur le cerveau émotionnel par le corps

 

C’est une nouvelle médecine, la "médecine des émotions" que David Servan Schreiber propose de développer et de diffuser.

 

La "médecine des émotions" part d'une certaine idée de ce qu'est le bien être. « Pour vivre en harmonie dans la société des humains, il faut atteindre et maintenir un équilibre entre nos réactions émotionnelles immédiates, instinctives, et les réponses rationnelles qui préservent les liens sociaux au long cours. Le bien être, ce à quoi nous aspirons continuellement, est la manifestation de l’harmonie parfaite entre le cerveau émotionnel, qui donne la direction et l’énergie, et le cerveau cognitif qui organise l’exécution ». Pour David Servan-Schreiber, le terme qui définit le mieux, l’équilibre entre l’émotion et la raison est celui d’intelligence émotionnelle. A partir de l’idée d’intelligence émotionnelle, les chercheurs de l’Université de Yale et du New Hampshire ont définit un quotient émotionnel (différent du QI) permettant de la mesurer à partir de quatre fonctions essentielles (aptitude à identifier son état émotionnel et celui des autres, aptitude à comprendre le déroulement naturel des émotions, aptitude à raisonner sur ses propres émotions et sur celles des autres, aptitude à gérer ses émotions et celles des autres). Selon des études faites sur des étudiants, la maîtrise de l’intelligence émotionnelle serait un meilleur gage de succès que le QI.[17]

 

Pour la médecine des émotions, « la principale tâche du psychothérapeute est de reprogrammer le cerveau émotionnel en sorte qu’il soit adapté au présent au lieu de continuer à réagir à des situations du passé. A cette fin il est souvent plus efficace d’utiliser des méthodes qui passent par le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel plutôt que de compter sur le langage et la raison auxquels il est assez peu perméable ». Puisque le cerveau émotionnel a une relation plus intime avec le corps qu’avec le cerveau cognitif, « pour corriger les problèmes du cerveau émotionnel, il faut communiquer avec lui en passant par le corps plutôt que par le langage »[18] . D’autre part, selon l’auteur de la médecine des émotions, « le cerveau émotionnel possède des mécanismes naturels d’auto-guérison. Les méthodes qui passent par le corps tirent avantage de ces mécanismes ».

 

Les méthodes thérapeutiques privilégiées par la médecine des émotions sont :

  • Les méthodes pour gérer la communication émotionnelle
  • Le yoga (et plus généralement les pratiques de respiration et de relaxation)
  • Le sport
  • L’intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires (EMDR) (non présentées dans le présent document)
  • L’acupuncture
  • Les oméga 3

 

Des méthodes pour gérer la communication émotionnelle. Les relations affectives que nous entretenons avec les personnes qui nous entourent ayant des répercussions sur nos  émotions et donc sur toute la physiologie de notre corps, il est très important pour notre santé mentale et physique d’apprendre à mieux gérer ce type de relations. David Servan-Schreiber nous rappelle que « Le cerveau émotionnel des mammifères a été conçu pour que la mère et sa progéniture soient en relation affective intense pendant plusieurs semaines, voir plusieurs années. La relation affective est un véritable régulateur de toutes les émotions et donc de toute la physiologie du corps. L'amour est un besoin biologique, au même titre que la nourriture ou la protection contre le froid. Plusieurs études montrent que même l'amour d'un chien ou d'un chat a des effets très importants sur l'humeur, comme sur la réponse au stress. Il existe des méthodes très simples pour commencer à mieux maîtriser sa communication émotionnelle -- et ses relations aux autres -- avec plus de succès ». Une de ces méthodes (en six points)  permet de gérer plus efficacement les conflits au bureau, avec son conjoint, avec ses enfants, avec ses parents». Pour approfondir ses relations affectives il faut aussi « apprendre comment être plus présent avec ceux qui nous entourent tout en sachant mettre des limites »[19]. La capacité à mieux gérer ses émotions améliore la cohérence cardiaque qui agit à son tour sur le cerveau émotionnel. « C'est le début d'une manière complètement différente de vivre sa vie ».

Le yoga (et plus généralement les pratiques de respiration et de relaxation) est une pratique qui a pour objectif de construire une nouvelle relation entre le cerveau (et notamment le cerveau émotionnel) et le corps. Sachant que la manière dont nous sommes en relation avec notre corps (relation de domination, de maîtrise ou de profonde affection) oriente le type de relations que nous développons avec les personnes qui nous entourent et plus généralement avec notre environnement matériel et nature, la pratique du yoga a des répercussions plus que personnelles et notamment sur les relations affectives entre les individus. Pour David Servan-Schreiber « les gens qui pratiquent le zen et le yoga ont développé la capacité à entrer en cohérence cardiaque [20]». Par un exercice de respiration rassemblant au yoga, on peut augmenter la cohérence cardiaque. Cet état est bénéfique non seulement pour la santé physique (meilleure immunité, longévité, santé cardiaque) mais aussi pour le moral (meilleur gestion du stress et des émotions négatives[21]. La cohérence cardiaque est associée à la plénitude et au bien-être.[22]

Le sport et plus généralement l’exercice physique - même seulement trois fois par semaine pendant vingt minutes - a des effets puissants sur les neurotransmetteurs du cerveau émotionnel[23]. Dans deux études différentes de l'université de Duke, l'exercice physique était plus efficace qu'un antidépresseur moderne. L'effet de l'exercice sur le stress et l'anxiété est encore plus frappant. Il suffit de quelques conseils simples pour débuter et pour éviter les échecs si courants.[24]

L’acupuncture. « Depuis 5.000 ans, la médecine traditionnelle chinoise ou tibétaine soigne l'anxiété et la dépression par l'acupuncture. Dans les dix dernières années les progrès de l'imagerie du cerveau en action a démontré que la stimulation par les fines aiguilles d'acupuncture contrôle directement des régions clés du cerveau émotionnel. »[25] 

Les oméga-3. « 60% du cerveau est constitué d'acides gras. Un apport important d’acides gras essentiels Omega 3, que l'on trouve principalement dans les huiles de poissons, permet de normaliser le fonctionnement du cerveau émotionnel. Dans les cinq dernières années, il a été prouvé qu'ils sont de puissants antidépresseurs et stabilisateurs de l'humeur en plus de leurs multiples effets bénéfiques sur le cœur, les articulations, la peau etc » [26]

 

"Le système ventre " ?

 

Dans son programme de recherche, David Servan-Schreiber a privilégié le "système cœur" (ensemble des interrelations entre le réseau semi-autonome des neurones du coeur et le cerveau proprement dit), mais il s'est très peu intéressé au "système ventre", bien qu'il ait signalé que les intestins ont également leur  réseau semi-autonome de neurones, formant comme pour le cœur un  "cerveau local" ayant de fortes interrelations avec le cerveau proprement dit. Il n'est pas impossible que disposant d'une méthode d'observation "objective des interrelations" entre le cœur et le cerveau, par la mesure de la cohérence cardiaque, David Servan Schreiber ait été conduit à privilégier le "système cœur" et à se désintéresser du" système ventre".

 

Pour appréhender "le système ventre", on peut se référer aux travaux de Pierre Pallardy[27], auteur notamment de l'ouvrage Et si ça venait du ventre,. Souffrant lui même de douleurs abdominales fulgurantes depuis sa jeune enfance, il mit au point, d'une manière très pragmatique sa propre thérapie du ventre pour soigner la fatigue, les prise de poids, les troubles sexuels, la dépression, l'insomnie, la mal de dos. Il est intéressant de noter que les méthodes utilisées par Pierre Pallardy sont très proches de celles de David Servan-Schreiber. Sa thérapie repose sur sept bases:

 

La respiration abdominale qui est « la condition principale de l’indispensable harmonisation entre le premier cerveau et le second cerveau, le ventre ». Cette harmonisation se réalise à travers le nerf vague. Les objectifs des exercices de respiration abdominale sont (1) de libérer et de débloquer le diaphragme, « vrai chef d’orchestre de la respiration profonde » et (2) de nous amener à penser qu’on respire par le ventre. Il est important de rappeler que la respiration est la seule fonction physiologique qui peut être activée de manière consciente[28]. « Nous avons le devoir d’utiliser ces possibilités au maximum »[29]

La prise alimentaire régulière et lente, qui respecte les rythmes biologiques et éliminent toute rupture avec le cerveau supérieur. Pour la santé du ventre, il est important de respecter notre horloge biologique. Manger lentement est aussi une des conditions de bonne santé du cerveau ventre.

Le choix des aliments (pour plus de détails voir le livre de P. Pallardy)

La pratique d’un sport-plaisir : « aucun trouble fonctionnel du ventre proprement dit, comme la constipation, les ballonnements, les règles douloureuses, etc. ne résiste à une activité sportive d’endurance pratiquée régulièrement »[30]

La gymnastique des deux cerveaux qui est « une série de mouvements à base de contractions musculaires et de déplacements des membres dans l’espace sous le contrôle du cerveau ». Le principe qui fonde ce type de gymnastique est le constat que « le ventre, ce second cerveau, est directement connecté à la colonne vertébrale. Sa santé dépend donc, aussi, du bon état du dos. De chaque trou de conjugaison d’une vertèbre sort un nerf qui correspond à un système, à un organe ou à une glande du ventre (c’est une des bases de l’ostéopathie). Un ventre en pleine santé, n’est pas même imaginable quand on souffre d’un blocage, d’une compression, d’un tassement de disques vertébraux. Par exemple, un trouble de l’articulation entre la quatrième et la cinquième vertèbre entraîne des troubles du foie, de l’estomac et une mauvaise circulation »[31]. Il est remarquable de constater que les exercices de la gymnastique des deux cerveaux sont très proches de certains asanas du yoga (uddiyana bandha, chat), et aussi des exercices de travail sur la colonne vertébrale du yoga de la verticalité et des exercices de kung-fu avec introduction de contractions des muscles et des articulation, formalisés par Babar Khane.

La méditation abdominale qui vise à penser avec son ventre et à comprendre sa vie intime. Il est important de sentir son ventre, de prendre conscience de ses mouvements, de ses vibrations, en mobilisant si possibles les neurones du ventre qui ont leurs vies propres. Il est rappelé qu’ «en Orient, les yogis obtiennent, en concentrant leur pensée sur leur ventre, une maîtrise totale de leur comportement. Certains d’entre eux peuvent volontairement, avec l’aide de la respiration abdominale, faire monter ou descendre à volonté la température de leur corps, bloquer ou accélérer leur processus digestif et vider leur intestin »[32] Il a été aussi observé que « chez des patients en analyse, ou en psychothérapie, la méditation abdominale a facilité le travail des thérapeutes et favorisé des guérisons »[33]. Avec des chercheurs canadiens, P. Pallardy prévoit la mise en œuvre d’un véritable psychothérapie fondée sur le ventre.

 

Pierre Pallardy a trouvé par intuition qu’ « en traitant le ventre, en rétablissant ses fonctions souvent altérées ou modifiées (gastrite, colite, colopathie, constipation, diarrhée, etc. ), en lui rendant la santé, on exerce une action bienfaisante, relaxante, curatrice sur l’ensemble des troubles physiques et psychiques du patient, on renforce les défenses immunitaires [34]». Il avait observé, par exemple, qu’un traitement approprié du ventre selon ses méthodes, « entraînait toujours une amélioration du système cardio-vasculaire, du diabète, une régularisation de la tension artérielle, une baisse du mauvais cholestérol et une disparition des douleurs musculaires et rhumatismales ». Il avait aussi constaté qu’en traitant le ventre il faisait resurgir « un peu comme le psychiatre et le psychanalyse des émotions, des troubles, des traumatismes enfouis profondément, refoulés depuis la prime enfance, et qui se trouvent à la source de désordres souvent très douloureux ». Pierre Pallardy fait remarquer que « Freud et Jung avaient l’habitude de poser les mains sur les têtes et sur le ventre de leurs patients. Certains ont même affirmé qu’au début de sa carrière le créateur de la psychanalyse massait le ventre de ses patients »[35]. Les intuitions qui ont guidé la démarche thérapeutique de Pierre Pallardy, ont été, selon ses propos, confirmées par des publications scientifiques qui sont sorties au début de ce siècle dans les revues médicales les plus respectées, en particulier aux Etats-Unis. En effet des recherches longues et minutieuses ont abouti « à d’étonnantes conclusions » :

  • « Le ventre est bien structurellement et neurochimiquement un second cerveau, connecté au cerveau de l’encéphale dont il est complémentaire »
  • « Il produit à travers l’intestin entre 70 et 85 % des cellules immunitaires de l’organisme qui innervent les organes et garantissent notre vie et nous protègent contre les maladies graves »
  • « Il produit aussi des cellules intersticielles qui jouent un rôle important dans le fonctionnement des muscles et des attaches »
  • « Il abrite un réseau complexe insoupçonné de neurotransmetteurs (ou neuromessagers), de neuromodulateurs, de molécules identiques à celles de l’autre cerveau. Parmi ces micro-produits, la sérotonine, la mélatonine, l’acétylcholine, l’épinéphrine, et les nétrines, au total une trentaine »
  • « Puis un professeur de l’Université Columbia, Michael D. Cherson, spécialiste d’anatomie et de biologie cellulaire, publie au début de l’année 2001, un livre qui fait sensation / The Second Brain. Nos deux cerveaux, écrit-il, celui de notre tête et celui de notre ventre doivent coopérer. Si ce n’est pas le cas, il y a chaos dans le ventre et misère dans notre tête. Le professeur Gherson démontre l’existence d’une activité chimique réciproque entre les deux cerveaux à travers le nerf vague[36] »

 

A la lumière des travaux de l’auteur de l’ouvrage The second Brain, Pierre Pallardy a pu mieux comprendre que la réussite de ses traitements était basée « sur la remise en harmonie des deux cerveaux, et que la disparition de ces troubles de l’esprit est bien souvent suivie d’une amélioration spectaculaire de l’insomnie, de la dépression, des difficultés sexuelles, etc. »[37]. Il est frappant de constater que le principe d’action de Pierre Pallardy, la mise en harmonie du cerveau ventre et du cerveau tête, est très semblable au principe d’action de la thérapie de David Servan-Schreiber qui vise à reconstruire de l’harmonie entre le cerveau cœur et le cerveau tête, ce type d’harmonie étant constaté par le test de cohérence cardiaque. Il serait sûrement intéressant de trouver un test objectif qui permettrait de mesurer l’harmonie du cerveau ventre et du cerveau tête.

 

Conclusion : "Corps et esprit comme deux manifestations d'une même entité"

 

« Descartes, qui opposait l'esprit au corps, pensait qu'ils communiquaient tout de même à travers un point très précis du cerveau : la glande pinéale. La recherche a donné tort à Descartes et raison à Spinoza, qui voyait le corps et l'esprit comme deux manifestations d'une même entité. Nous savons aujourd'hui que l'organisme entier dialogue avec l'esprit, à travers le cerveau émotionnel : celui-ci pilote le système nerveux autonome, et par ce biais contrôle toutes les fonctions viscérales, de plus il commande le système hormonal par ses sécrétions qui transitent via le système nerveux central, et nous savons maintenant qu'il communique aussi avec le système immunitaire,  et même que ce dernier lui répond [38]» .

 « Si les grands neurotransmetteurs (dopamine, sérotonine, etc.) sont produits principalement dans le cerveau, toutes les cellules de notre corps secrètent d'autres neurotransmetteurs, les neuropeptides. Il en existe des dizaines. Parmi les plus célèbres, les opioïdes, ces endorphines sécrétées par nos cellules qui agissent comme la morphine ». Les neuropeptides agissent sur le corps et sur l'esprit (exemple de l'ocytocine qui provoque la montée du lait chez les femmes et diminue le stress, de la vasopressine qui réduit l'excrétion urinaire et qui influe sur le comportement paternel). La découverte que les neurotransmetteurs sont produits par toutes les cellules de notre corps a amené, Caudace Pert auteur de l’ouvrage Molécules of emotion à écrire « Notre esprit est dans chaque cellule de notre corps »[39]

 « Croire que l'activité psychique se résume au fonctionnement cérébral est aujourd'hui une idée totalement obsolète. La pensée a bien son siège dans la boite crânienne, mais les neurones qui lui servent de support sont influencées par les états du corps, leur activité est modulée par les messages chimiques émis par les cellules immunitaires comme par toutes les cellules du corps ».[40]

 

[1] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.18

[2] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.18

[3] David Servan-Schreiber, Nouvel observateur N° 2084, 14 oct 2004

[4] David Servan-Schreiber, Nouvel observateur N° 2084, 14 oct 2004

[5]  David Servan-Schreiber, Nouvel observateur N° 2084, 14 oct 2004

[6] Roger Vittoz (1863-1925)  contemporain de Freud et R.Steiner, a connu des moments difficiles au cours de ses études . Il aurait rencontré un soufi Inayat Khan qui lui aurait donné quelques indications pour s’aider à remonter des abîmes. Il a d’abord créé des exercices pour lui-même, pour sortir de ses propres difficultés et a ensuite constitué une méthode thérapeutique : apprendre à contrôler le « vagabondage cérébral » en utilisant nos cinq sens et notre conscience corporel.

[7] Hélène Petit-Pillie, Terre du Ciel, N° 69 sept-oct 2004

[8] Dans Yoga-Sutras, Patanjali précise que l’objectif du yoga est l’arrêt des pensées automatiques

[9] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.18 p.21

[10] Les structures du cerveau émotionnel sont des structures dites limbiques, et sont les mêmes chez tous les mammifères. Les structures limbiques prennent en charge les émotions et les réactions de survie. Le cerveau émotionnel  la structure la plus archaïque de notre cerveau est aussi appelé  cerveau reptilien

[11] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.21

[12] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.21

[13] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.37

[14] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.23

[15] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.50

[16] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.51-53

[17] David Servan-Schreiber, Guérir, Robert Laffont, Paris, 2003, p.27-32

[18] http ://.www.scom.ulaval.ca/Au.fil.des evenements :2003/11.06/servan.html

[22] http ://.www.scom.ulaval.ca/Au.fil.des evenements :2003/11.06/servan.html

[23] Déjà dans la République, Platon préconisait la pratique des exercices physiques, « celui qui pratique la gymnastique arrivera à se passer du médecin hors les cas de nécessité » Cité B. Khane, Pratique du Yoga, N°91-92

[27] Ostéopathe, auteur de plusieurs best-sellers taduits dans le monde entier : Les chemins du bien être, Plus jamais avoir mal au dos.

[28] Rappelons que pour le Dr Hanish, auteur de la Science de la Respiration, « à la différence des autres êtres vivants, l'homme seul a la faculté de contrôler consciemment sa respiration »

[29] Pierre Pallardy, op. cit., p. 48

[30] Pierre Pallardy, op. cit., p. 111

[31] Pierre Pallardy, op. cit., p. 125

[32] Pierre Pallardy, op. cit., p. 147

[33] Pierre Pallardy, op. cit., p. 154

[34] Pierre Pallardy, op. cit., p. 15

[35] Pierre Pallardy, op. cit., p. 16

[36]«  Les deux cerveaux communiquent principalement par l'intermédiaire du nerf vague, appelé aussi pneumo-gastrique, qui part de la boîte crânienne, descend le long du cou, traverse le thorax et pénètre dans l'abdomen. Il parcourt trois systèmes :cardio-vasculaire, respiratoire, digestif, et innerve glandes et organes. Grâce au nerf  chaque phase respiratoire, quelque soit son intensité , est répercutée simultanément dans les deux cerveaux » Pierre Pallardy, op.cit p 45"

[37] Pierre Pallardy, op. cit., p. 17

[38] Comment nos émotions influencent notre système immunitaire : « Les cellules naturelles tueuses sont les gardiennes féroces de notre intégrité, elles foncent sur toutes les anomalies (bactérie, toxine, cellule cancéreuse) dès qu'elles apparaissent dans l'organisme, fusionnent avec elle et la digèrent littéralement. On a découvert que ces cellules guerrières possédaient sur leur surface des récepteurs spécifiques pour capter des substances qu'on croyait réservées au cerveau : les neurotransmetteurs, véhicule de l'émotion. Résultat : chaque fois que nous ressentons une émotion, celle-ci influe directement sur le comportement de notre système immunitaire »

[39] David Servan-Schreiber, Nouvel observateur N° 2084, 14 oct 2004

[40] David Servan-Schreiber, Nouvel observateur N° 2084, 14 oct 2004