Yoga-sutras de Patanjali

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Date de parution: 
Juillet 2006

 

 

Cet ouvrage écrit deux ou quatre siècles avant Jésus-Christ codifie une pratique traditionnelle du yoga d’une très grande ancienneté. On ne sait pas si Patanjali a existé en tant que personne ou s’il représente un courant de pensée. « Le mot sutra en sanskrit, désigne le fil du collier, et par extension le fil conducteur d’un raisonnement, d’un exposé. Il évoque aussi les perles du collier, et désigne alors les 195 aphorismes[1] qui constituent le traité »[2]. Ces sutras sont en fait des têtes de chapitres, des sortes d’aide-mémoire, destinées à être apprises par cœur et expliquées par le maître. Les 195 aphorismes sont répartis en quatre chapitres.

 

Méthode de travail

Dans un premier temps j’ai lu la traduction et les commentaires des Yogas-Sutras de Patanjali réalisés par Françoise Mazet[3] qui me semblaient plus facilement accessibles par le vocabulaire employé et par la dimension de l’ouvrage. Pour chaque sutra, j’ai donc repris la traduction proposée par F. Mazet et j’ai noté ses commentaires qui me semblaient les plus pertinents. Les titres des paragraphes et sous paragraphes qui structurent le texte de Patanjali sont ceux proposés par Françoise Mazet, sauf dans les cas où j’ai utilisé une autre source (principalement Yves Durand D’Aragon) qui est alors référencée.

            Dans un deuxième temps j’ai confronté la traduction et les commentaires de F. Mazet avec ceux de Jean Bouchart d’Orval[4], et de Swami Sadananda Sarasvati[5]. Pour chaque sutra, j’ai indiqué les différences de traduction lorsque ces différences me semblaient importantes et j’ai noté les nouveaux points de vue apportés dans les commentaires.

            Dans un troisième temps, j’ai confronté les trois approches précédentes des Sutras de Patanjali, avec celle de Bernard Bouanchaud[6] en appliquant la même méthode que précédemment.

            Pour finir, j’ai repris le travail de Yves Durand d’Aragon[7], dont l’objectif est de « de faire assimiler la structure de la logique interne et la pédagogie, propre aux sutras de Patanjali ». Pour cela, cet auteur s’est attaché à situer clairement le Yoga de Patanjali par rapport à l’enseignement du Samkhya et il s’est inspiré des textes des premiers commentateurs indiens (Vyasa, roi Bhoja, Vivekananda).

 

 

 

1. Le premier chapitre ou Samadhi Pada[8] (La contemplation)[9],  indique l’objectif et la voie.

 

1.1 Définition du yoga

 

« Maintenant (Atha) , le Yoga va nous être enseigné, dans la continuité d’une transmission sans interruption » (S I.1)

« Selon la tradition védique, dès le premier terme, il est fait référence à Dieu, représenté par la lettre A. Dans la Bhagavad Gita, Krisna dit « Je suis le A de l’alphabet » [10].

 

Après avoir rappelé dans S1 que l’enseignement du Yoga s’inscrit dans une très ancienne tradition (une transmission sans interruption », les S I.2 et S I.3 nous proposent une définition du yoga qui paraît très concise mais fondamentale pour tout pratiquant du yoga.

 

« Le Yoga est l’arrêt (nirodha) de l’activité automatique du mental (chitta vritti) » (S I.1.2). Dans ce Sutra, le mot Vritti : agitation, perturbation, le mouvement des vagues, est opposé à nirodha : arrêt , interruption, cessation. Autre traduction « Le Yoga est l’aptitude à diriger le mental exclusivement vers un objet et à soutenir cette direction sans aucune distraction »[11]. Le yoga est l’équanimité du mental (égalité d’humeur, sérénité).

Pour Bernard Bouanchaud, « Le Yoga consiste à maintenir son esprit dans un état à la fois de quiétude et d’éveil, où l’on est totalement  présent à ce que l’on fait et où les pensées ne jaillissent plus d’elles-mêmes dans toutes les directions, mais sont pleinement contrôlées et orientées. Le mot esprit à un sens très large : psychisme, intelligence, pensée, sentiment, émotion, que ce soit dans le conscient ou dans l’inconscient »[12].

Pour Swami Sadânanda, « les interprétations du yoga en tant que concentration, union, etc. , ne sont que jonglerie grammaticale et travestissement intellectuel. Dans les Yoga sutras, le mot yoga, tel qu’il est défini, est très précisément un mot technique ; il ne doit pas être expliqué simplement comme un mot dérivé de la racine « yuj » (joindre) »[13].

Dans ses commentaires des Yogas Sutras, Swami Sadânanda est amené à préciser le concept de Chitta : « Dans son intégralité Chitta est l’entrepôt des impressions ou des reflets des objets perçus et conçus ( …) Il assume la force du mental, de l’intelligence de l’ego et de la mémoire et aussi du « je », la cause de l’ego. Il ressort que Chitta est un terme désignant ce en quoi le Soi se reflète, et ce qui possède la notion ou la condition du « je » causant l’ego.. (….) Quand les afflictions et les non-afflictions connues sous le nom de vrittis cessent de fonctionner, c’est alors que Chitta devient Sattva. Chitta est le Sattva, lorsqu’il est absolument purifié. Cet état est yoga (…) Lorsque les vrittis sont stoppés, Sattva et Purusha, n’ayant plus aucune action de contact, demeurent seuls distinctement, c’est donc ce qui est appelé non-dépendance (aloneness)»[14].

 

« Alors se révèle notre Centre (drashtar), établi en lui-même » (I 1.3)

Autre traduction « Alors il y a établissement du voyant en sa forme propre »[15]

Il me semble très important pour tout praticien et encore plus pour tout enseignant de yoga, de se référer constamment à ces deux sutras pour guider et faire évoluer leurs pratiques. En nous libérant des automatismes, et notamment des automatismes du mental, le Yoga nous permet de développer notre capacité d’observation, de spectateur de notre corps et de notre mental et de laisser par là se manifester, se révéler le Témoin immobile et permanent (appelé Drashtar par Patanjali) qui est en chacun des être humains et qui nous fait participer à l’énergie cosmique.

J. Bouanchaud traduit drahstar par principe de conscience. « Le yoga affirme que l’on peut percevoir un objet sans projection mentale (dans le sens psychanalytique), il consiste pour un sujet à percevoir le monde extérieur et notamment sur autrui des caractéristiques qui lui sont propres ».

Swami Sadânanda précise que lors des arrêts des événements dans le Chitta, « Chitta devient pur Sattva. Les Rajoguna et Tamoguna cessent de fonctionner »[16]

 

 

« Dans le cas contraire, il y a identification de notre Centre avec l’agitation du mental » (S I.4). L’image de la surface de l’eau agitée (le mot vritti signifie aussi le mouvement des vagues) qui empêche de voir le fond est souvent utilisée pour expliquer qu’un mental agité fait écran au Témoin immobile qui est en nous.

« L’ego, qui perçoit les objets externes au moyen du mental, s’identifie avec ces objets que le mental perçoit au moyen de ses sens. Cette identification avec les objets créée l’attachement, l’aversion, etc. »[17]. qui se traduit par « je n’aime pas – j’aime – je veux – je ne veux pas – je ne peux pas ».

Relire le très beau texte de Denis Marquet "La joie n'a pas de cause", Nouvelles clés N°51, automne 2001.

 

1.2 Les agitations du mental, les cinq vrittis

 

Pour Patanjali, les agitations du mental (vritti) sont au nombre de cinq : le raisonnement juste (ou mieux les moyens de connaissance), la pensée erronée, l’imagination, le sommeil et la mémoire (S I.5 et S I.6). Elles sont douloureuses (klishta) ou non douloureuses (aklishta).

 

« Les raisonnements justes ont pour base la perception directe, la déduction, la référence aux textes sacrés » (S I.7). Les raisonnements ou les moyens de connaissance justes (Pramana) sont basés sur l’expérience.

Autre traduction : « Les moyens authentiques de connaissance sont pratyaksha, anumana,et agama »  « Pratyaksha  est la perception des objets directs par les sens de l’ouïe, du toucher, de la vue, du goût,et de l’odorat (..) Anumana est la connaissance obtenue par l’inférence (..) Agamah ce sont les enseignements des personnes réalisées »[18].

 

« La pensée erronée est une connaissance fausse non établie sur le Soi (qui n’est pas en relation avec la conscience profonde) » (S I.8)

« La perception erronée est souvent due à des conclusions hâtives établies dans un état émotionnel (…) La vision déformée sur nous-mêmes et sur les autres est fréquente. Elle provient d’automatismes, de préjugés»[19].

La connaissance juste qui est en relation avec la conscience profonde, le Soi, ne peut pas se construire à partir des raisonnements qui nous semblent intellectuellement et raisonnablement justes (sutra précédent). Heureux les pauvres en esprit car ils peuvent accéder plus facilement à la connaissance juste, à la conscience profonde, au Soi.

 

« L’imagination est vide de substance car elle s’appuie sur la connaissance verbale » (S I.9)

Autre traduction : « Suivre la connaissance des paroles qui ne sont pas basées sur la présence d’objets perçus est vikalpa (illusion verbale) »

« L’imagination est à l’origine de toute création artistique (…) . Elle est indispensable à la vie qu’elle contribue à créer mais dont elle peut nous écarter »[20].

 

« Le sommeil avec rêves est une agitation du mental fondée sur un contenu fictif » (S I.10). Comment intégrer et faire sienne cette phrase quand on sait l’importance d’expliciter ses rêves, de les dire, de les écrire, méthodes qui sont utilisées dans différentes thérapies psychologique ou psychanalytique pour calmer son mental ?

Les traductions de ce sutra sont souvent très différentes ?

 

« La mémoire consiste à ne pas dépouiller l’objet dont a fait l’expérience de ce caractère d’expérience »(S I.11).

« Support indispensable à tout progrès, la mémoire peut également constituer un obstacle, un écran à la perception, n’est-elle pas liée aux préjugés ou aux conditionnements culturels ? »[21].

 

Pour mieux comprendre pourquoi ces cinq aspects du mental sont appelés agitations du mental (vritti) on peut reprendre un commentaire de Françoise Mazet. Rien, même pas un raisonnement juste, « ne peut égaler la connaissance directe que permet le Yoga quand la pensée s’est tue et que notre Centre, délivré de tous ses bruits parasites, peut connaître immédiatement et dans sa totalité tout élément de la réalité, que ce soit un objet ou un être vivant ». En d’autres mots, Heureux les esprits simples.

 

 

1.3 Comment apaiser les agitations du mental ou « la pratique qui permettra la non-identification »[22]

 

« L’arrêt des pensées automatiques (chitta vritti) s’obtient par une pratique intense (abhyâsa) dans un esprit de lâcher-prise (vairâgya)» (S I.12). Les postures de yoga symbolisent bien la pratique intense dans un esprit de lâcher-prise qui conduit à l’arrêt des pensées automatiques ; les postures de yoga constituent un apprentissage à une telle pratique; Les postures doivent être fermes et bien structurées tout en permettant le relâchement de toutes les tensions inutiles, au niveau musculaire, respiratoire et mental. Lâcher-prise dans une pratique signifie « de s’engager dans une action, sans s’identifier avec elle, c’est le message de la Bhagavad Gita »[23], c’est aussi s’engager dans l’action sans rechercher un résultat. Swâmi Sadânanda traduit vairagya par renoncement, personnellement je préfère le mot de lâcher-prise qui est plus global, moins religieux-moralisant et moins frustrant.

J. Bouanchaud préfère parler d’une « pratique intense et persévérante » avec un esprit de « détachement ».

 

« Dans ce cas, cette pratique intense est un effort énergétique pour s’établir en soi-même » (S I.13). L’objectif des postures est d’aboutir à un apaisement du mental qui est l’état de Yoga.

 

« Mais elle n’est une base solide que si elle est pratiquée avec ferveur (ou enthousiasme), persévérance, de façon ininterrompue et pendant longtemps ». (S I.14). Ceci signifie que l’apprentissage à être conscient du geste, de la respiration, de la sensation dans les postures de yoga, doit être peu à peu diffusé et étendu dans tous les actes du quotidien.

 

« Le non-attachement (vitrishnasya ou sans désir ou destitution des désirs) est induit par un état de conscience totale qui libère du désir face au monde qui nous entoure » (S I.15). Lâcher-prise c’est accepter ce qui est, ce qui survient, c’est accepter l’autre dans sa différence, c’est aussi s’accepter soi-même avec ses propres limites et faiblesses. « Dans la pratique du Yoga, lâcher prise, c’est accepter de négocier avec son manque de souplesse, accepter que la posture parfaite soit celle que l’on ne peut plus améliorer avec ces moyens du moment. Le lâcher prise c’est l’humilité, la simplicité retrouvée, l’état sans désir. Sans désir, on est sans pensée, sans pensée on est dans la réalité »[24]. Swâmi Sadânanda précise qu’il y a cinq sortes de Vairagya (renoncement ou lâcher-prise) : Yatamana, Vyatirêka, Ekendriya, Vasîkara et Para[25].

Autre traduction : « Le détachement est la maîtrise de l’absence de désirs pour les objets vus et entendus ». « Traditionnellement, le mot vu (drsta) désigne ce qui appartient au monde visible, c’est-à-dire perceptible par les organes des sens. C’est le monde extérieur, le profane. Le mot entendu (anusravika) représente ce qui est transmis oralement par la tradition, la connaissance révélée. C’est le monde intérieur, le sacré, l’univers céleste. Ainsi le non-attachement est-il la prise de conscience que les désirs provoqués par les objets et les réalités extérieures et intérieures, sont sous le contrôle de la volonté. (…) Cet aphorisme propose donc d’être au-delà de tout désir, même et surtout vis-à-vis des sensations ou états mystiques ou de tout phénomène parapsychologique (…) Le détachement, ce n’est pas se détacher des choses mais découvrir que les choses se détachent de soi »[26].

 

« Le plus haut degré dans le lâcher-prise, c’est se détacher des gunas grâce à la conscience du Soi » (S I.16). Pour se libérer des gunas, dans la vie quotidienne « c’est peut-être prendre conscience, dans la relation, de la modalité rajasique, sattvique ou tamasique de nos réactions. Cette prise de conscience crée un espace qui permet de ne pas être emporté par l’émotion du moment, reconnaître la colère qui monte en soi, c’est pouvoir négocier avec cette émotion, agir de façon juste, adéquate, sans se couper de son être profond»[27].

 

 

1.4 Le Samadhi ou l’état de pure conscience

 

Deux stades de samadhi : le Samadhi Samprajnata et le Samadhi Asamprajnata

« Le Samadhi Samprajanata, dans lequel la conscience est encore tournée vers l’extérieur, fait appel à la réflexion , au raisonnement. Il s’accompagne d’un sentiment de joie et du sentiment d’exister » (S I.17). C’est le Samadhi avec support, et à ce niveau l’ego est encore là, sujet qui pense et qui ressent.

Autre traduction : « L’état de samprjnata passe successivement par une saisie discursive, puis subtile, par la félicité, et par la pleine conscience de soi-même ». « Dans cette succession d’états d’union avec un objet, celui-ci ne change pas. C’est le psychisme du sujet qui change progressivement devient transparent jusqu’à refléter avec pureté l’objet de concentration, comme si des filtres ou des voiles disparaissent l’un après l’autre »[28]. On peut comprendre cette démarche de samprajnata dans l’expérience de lecture d’un roman ; l’objet dans ce cas là est le roman et on peut expérimenter les différents états d’union avec l’objet en fonction de notre implication personnelle, de l’état de notre mental de notre psychisme,  par rapport à la découverte du roman, à la manière de rentrer dans le déroulement du roman.

 

« Quand cesse toute activité mentale grâce à l’expérience renouvelée de cet état, s’établit le Samadhi, Asamprajnata, sans support. Cependant demeurent les mémoires accumulées (Samskâra ou imprégantions, empreintes, strates psychiques accumulées) par le Karma » (S I.18). A ce stade, l’état d’unité, de pure conscience n’est que passager. « On porte encore en soi les graines du passé, qu’elles fassent partie de l’inconscient collectif ou de notre propre histoire, elles peuvent germer dès que les circonstances le permettent et déstabiliser à nouveau la conscience »[29].

« Le samprajnata précédent faisait l’objet d’étapes chronologiques. Instantané, celui-ci est la manifestation d’un état de paix, de clarté, de compassion. Le psychisme colle à la réalité. (…) Le mot imprégnation (Samskara)  désigne les conditionnements conscients et inconscients. Le yoga en différencie deux types : ceux résultant de pulsions négatives (II.15) et ceux positifs, issus de la pratique du yoga (I.50, III.10) »[30]. Mais l’état de asamprjanta n’est accessible qu’après la pratique de samprjanata.

« Seule , une longue familiarité avec la pratique du yoga et la théorie de Patanjali, permet de savoir totalement que le citta (disons le mental) passe de l’une à l’autre (samadhi avec support et samadhi sans support) chaque fois qu’il lâche un contenu. Seule l’inexpérience généralement répandue empêche d’être conscient  d’un temps (si court soit-il) sans contenu du mental ». « le processus de la durée est entièrement perceptible à l’extrême fin du changement (S 1V.33) »[31].

 

« De naissance, certains êtres connaissent le Samadhi. Ils sont libres des contraintes du corps physique, tout en étant incarnés » (S I.19).

« Méthode typiquement Patanjalienne : (..) Créer l’intérêt, développer dans l’esprit de l’élève la solution constructive immédiate, (…) pour ensuite exposer  les voies et moyens (…) Toujours amener le disciple à se transcender, toujours l’émerveiller ou, pour le moins , le surprendre en suscitant un intérêt renouvelé »[32]

 

 

1.5 La voie à suivre

 

« Les autres connaissent le Samadhi grâce à la foi, l’énergie, l’étude et la connaissance intuitive » (S I.20)

« Le mot straddha signifie la foi. Foi dans le yoga et dans celui qui le transmet. C’est aussi la confiance en soi comme en toute autre personne et dans la vie. Cette foi est innée ; elle pousse le bébé à se relever,   (..) l’amour, le climat de confiance créé par les parents renforcent la confiance de l’enfant qui sera alors sûr de lui et rempli d’énergie pour agir : il est courageux »[33]. Foi dans le yoga, foi dans la vie, ne peut progresser qu’avec le climat de confiance d’amour de ceux qui nous entourent. A nous aussi de créer ce climat pour les autres.

 

« Il est accessible à ceux qui le désire ardemment » (S I.21)

 

« Mais même dans ce cas, il y a une différence selon que la pratique est faible, moyenne, ou intense » (S I.22).

 

Le Samadhi grâce à l’abandon au Seigneur (Ishavara)

« Ou bien, grâce à l’abandon au Seigneur » (S I.23) Pour certains, plus religieux, le lâcher-prise est plus facile, en passant par cet acte dévotionnel de soumission à la volonté divine. « Patanjali, qui connaît le cœur des hommes dans leur diversité, ne néglige pas cette approche du réel »[34].

« Une alternative au double moyen précédent, la pratique persévérante et le non attachement (I.12). ».

« Le sutra 23 a amené l’acceptation du moyen transcendantal, cité le dernier, méthode permanente de Patanjali, celui qui englobe et couronne tous les autres sur la voie : consécration au Seigneur Isavara-pranidhana »[35].

 

« Ishavara (Seigneur) est un être particulier extraordinaire (purusha-vishésha) qui n’est pas affecté par la souffrance (klésha), l’action (karma), son résultat (vipaka) et les traces (âshaya) qu’elle peut laisser » (S I.24) . « L’adjectif purusha vishésha est employé pour montrer qu’Ishavara et le Soi sont la même chose »[36].

 

« En lui est le germe d’une conscience sans limites » (S I.25) « L’Existence-Connaissance-Félicité Absolue est Sa nature »[37].

 

« Non limité par le temps, il est le maître spirituel des anciens eux-mêmes » (S I.26). Autre traduction proposée par Swâmi Sadânanda; « Ishavara est même le guru des premiers nés de l’origine (Brahmâ et les autres dieux) ; il est inconditionné par la durée (le temps) ». « Etant l’ ’Existence-Connaissance-Félicité Absolue, Ishavara est présent en chaque être. La connaissance d’Ishavara est la véritable ou absolue connaissance, c’est la connaissance du Soi. Celui qui connaît le Soi devient le Soi lui-même. Le Soi est Ishavara présent dans le corps.(…). Le premier homme né est Brahmâ qui est censé être le créateur ; en d’autres termes l’aspect créatif d’Ishavara est connu sous le nom de Brahmâ. Le créateur signifie : sa présence dans les gunas anime ces derniers et leur fait projeter le monde. Il n’y a pas de création en lui mais il est présent dans la création ou projection. (…). L’univers entier est conditionné en raison de la force objective des Gunas. Dans le monde la connaissance ne peut qu’être obtenue à travers des moyens conditionnés, tout comme l’eau ; bien que l’eau soit répandue partout sur la terre, elle n’est obtenue cependant qu’à travers des formes conditionnées telles que puits, lac, bassin, rivière, etc. »[38]

 

« On le désigne par Om » (S I.27). « Dans toutes les traditions spirituelles, le nom du Divin revêt une grande importance. Le nom du Divin est le Divin » Au commencement était la Parole et la Parole était Dieu, nous rappelle les Evangélistes. La parole est vibration, elle est une manifestation de l’énergie universelle. « L’homme est cet animal qui nomme, celui qui désigne, c’est la mission qu’il a reçue. Nommer veut dire connaître et manifester ; l’homme est l’incarnation de ce mouvement, ce cette actualisation du Divin »[39].

 

« La répétition de ce Mantra permet d’entrer dans sa signification » (S I.28). « OM est le premier, le tout premier son issu d’Ishavara dans la matière primordiale indifférenciée. C’est de ce nom que l’espace vint à l’existence ainsi que toutes les autres modifications quoi en ont découlé. Pour cette raison, OM est le nom absolu, le principe de tous les sons qu’ils soient sous forme de paroles, de pleurs ou de cris, de chants ou de musiques, de rires ou d’amusements, de propos ou de débats, d’actions ou de mouvements,  (..) tout cela n’est que la modification de ce tout premier son »[40].

Trois sons s’unissent pour former om : a est la première voyelle de l’alphabet sanskrit, u est la lettre du milieu, et m la dernière consonne.

 

« Grâce à cela la conscience périphérique s’intériorise et les obstacles disparaissent » (S I.29). Dieu ne peut pas être perçu directement, « mais la vibration peut nous faire participer de son êtreté, car le son permet à la conscience de le percevoir comme une évidence ». La perception d’Ishavara par les vibrations du son est intéressante à creuser, cela signifie que sa nature relèverait de l’énergie. (à approfondir). OM est le principe de toutes les énergies.

« Cet aphorisme décrit les deux résultats de la répétition de la syllabe sacrée accomplie avec foi. Moins esclave des sollicitations extérieures, notre conscience se tourne alors vers l’intérieur. Elle y découvre une présence faite de paix et de compréhension de soi-même. Parallèlement, nous percevons nos pulsions profondes qui alimentent le champ de conscience et déterminent le comportement. Elles ne sont plus des obstacles amplifiées par l’esprit car nous restons tournés vers une force supérieure »[41].

 

 

1.6 Les obstacles qui contribuent à la dispersion du mental

 

« La maladie, l’abattement, le doute, le déséquilibre mental, la paresse, l’intempérance, l’erreur de jugement , le fait de ne pas réaliser ce qu’on a projeté ou de changer trop souvent de projet, tels sont les obstacles qui dispersent la conscience ». (S I.30). Pour éviter ces neuf obstacles qui affectent le mental humain sur la voie de l’évolution spirituelle, il faut avoir une nourriture saine, une vie saine, des relations humaines saines, des pensées saines.[42]

 

« La souffrance, l’angoisse, la nervosité, une respiration accélérée, sont les compagnons de cette dispersion du mentale » (S I.31). Ce sont les effets des obstacles précédents. Soulignons que lorsque le souffle est lent, facile et stable, le mental se concentre plus aisément et peut ainsi plus facilement réaliser sa vraie nature[43]. D’où l’importance d’expérimenter ce type de respiration et notamment la respiration taôiste dans les cours de yoga.

 

1.7 Comment éliminer les facteurs qui contribuent à la dispersion du mental. L’apaisement du mental

 

« Pour éliminer cela, il faut centrer sa pratique sur un seul principe à la fois » (S I.32), Autre traduction : « Nous pouvons y remédier en contemplant souvent un seul objet [44]» ( ékatatva : fixer le mental sur un seul objet)

Ce sutra peut constituer un guide pour construire nos séances de yoga. On a trop souvent tendance à vouloir faire découvrit trop de choses dans une même séance ; se limiter sur un principe à la fois (une forme de ressenti, de respiration ?). « Ne pas vouloir tout expérimenter à la fois, creuser son sillon avec patience et humilité » nous précise Françoise Mazet.[45]

 

«L’amitié, la compassion, la gaieté clarifient et apaisent le mental ; ce comportement doit s’exercer indifféremment dans le bonheur et le malheur, vis-à-vis de ce qui nous fait du bien, comme vis-à-vis de ce qui nous fait mal » (S I.33). Apprendre à être gai et ouvert, d’être en accord avec la conscience profonde sans se laisser emporter par les modifications de la conscience périphérique, quelque soit les situations, fait partie de l’apprentissage à l’état de yoga au sein de la vie de tous les jours avec ses moments de bonheur et ses moments de malheur. Cet apprentissage quotidien n’est pas toujours aisé !!

Autre traduction : « La sérénité psychique provient de l’attitude mentale d’amitié face au bonheur d’autrui, de compassion active devant son malheur, de foi face à sa vertu et de neutralité vis-à-vis de son erreur ». Cet aphorisme évoque directement les relations aux autres. Il indique l’attitude appropriée à développer dans la vie quotidienne »[46].

 

« L’expir et la suspension de la respiration produisent les mêmes effets » (S I.34. « La respiration est un merveilleux baromètre de l’état intérieur. Affectée par toute agitation du mental, elle peut, lui redonner le calme ». Le rôle de la suspension du souffle précisé par Françoise Mazet est intéressant à souligner : « Créer un espace à la fin de l’inspir et de l’expir, c’est lui permettre de retrouver le rythme du corps, beaucoup plus lent, le rythme de l’univers, auquel nous sommes accordés quand le mental ne le modifie pas »[47].

 

« La stabilité du mental peut aussi venir de son activité en relation avec le monde sensible » (S I.35). On pense ici à un beau paysage de montagne par exemple, ou à visage souriant, ….

Autre traduction : « Nous pouvons atteindre la stabilité mentale en demeurant parfaitement présents à tout objet, dès qu’il se manifeste »[48]. Il s’agit de porter l’espace méditatif sur le terrain de l’action comme le suggère la Bhagavad Gita.

« Nos sens sont des portes qui nous relient à l’environnement. Ils devraient nous obéir. Bien souvent ils nous commandent. Nous sommes esclaves des objets qu’ils nous présentent. Nous libérer de cet esclavage est un chemin direct vers le yoga »[49].

 

« Ou bien de l’expérience d’un état lumineux et serein » (S I.36) ;

Autre traduction « Nous y arrivons également en faisant l’expérience de la radieuse lumière intérieure, éternellement libre de douleur » Il n’est plus question d’objet ou d’absence d’objet, seule la lumière existe. L’état nommé nirodha (arrêt des fluctuations du mental) n’est pas l’absence de quelque chose.[50].

 

« On peut aussi stabiliser le mental en le mettant en relation avec un être qui connaît l’état sans désir » (S I.37). « Nous apprenons par imitation, par osmose.(..) Le contact régulier avec un être réalisé demeure le plus formidable catalyseur de l’évolution spirituelle »[51].

 

« Ou bien en restant vigilant au cœur même du sommeil et des rêves » (S I.38). Avec la vigilance concernant les rêves, c'est-à-dire en essayant de les expliciter comme nous invite à le faire les psychothérapies, on trouve ici une réponse à une interrogation avancée précédemment (S10) à propos des rêves comme une des cinq agitations du mental.

Autre traduction : « En se concentrant sur la connaissance qui vient dans le Chitta en rêve et dans le sommeil, cela aidera aussi le mental pour la ferme concentration ». On peut concentrer le mental et méditer sur les rêves, sur l’expérience du sujet qui disparaît lorsque nous nous réveillons ; on peut aussi se concentrer et méditer sur l’expérience du vide, du repos de l’extrême félicité expérimentée en sommeil profond.[52]

 

« Ou encore, par la méditation (dhyana) sur un objet de son choix » (S I.39). Les six moyens précédents pour apaiser le mental convergent et trouvent leur aboutissement dans la méditation. C’est l’étape ultime avant le samadhi. « On peut décider de se concentrer, on ne peut pas décider de méditer (..) Méditer dit Krishnamurti, c’est être conscient de tout à chaque instant »[53]. Il est préférable de méditer sur un objet de son choix, sur notre réalité et non sur un objet qui nous est étranger.

 

 

1.8 Les différents stades du Samadhi

 

« La force de celui qui est arrivé à cet état va de l’infiniment petit à l’infiniment grand » (S I.40) « La conscience périphérique étant stabilisée, la conscience profonde se révèle. Elle participe de l’absolu et permet donc de connaître cette dimension »[54].

 

« Les turbulences de la conscience périphérique étant apaisées comme un cristal reflète le support sur lequel il repose, le mental est en état de réceptivité parfaite vis-à-vis du connaissant, du connu et du moyen de connaissance. Cet état de réceptivité est Samapatti » (S I.41) . Le connaissant c’est le Soi, le Drahstar ; la conscience profonde. Ce qui est connu, c’est le monde extérieur, mais aussi le mental et l’ego. Le moyen de connaissance, c’est la conscience périphérique, les sens, le mental. « La conscience périphérique, participe du monde manifesté, prend une apparence consciente, alors que la conscience n’appartient qu’au Soi. Polluée par l’agitation des pensées, elle voile la conscience profonde et déforme la perception que l’on peut en avoir. Rendue au calme, à la transparence, elle s’intègre alors à la conscience, et notre êtreté source de vie, se révèle »[55]

Lorsque le mental est clair comme un cristal et laisse reflèter la conscience profonde, le Soi, on passe alors de la représentation (du monde extérieur par le mental) à la présentation (êtreté) du Soi. « Patanjali utilise ici le terme de samapatti pour mettre en évidence l’idée d’absorption, par rapport à la dispersion habituelle du mental  (..) . Le terme samapatti se réfère d’avantage au processus d’absorption mentale, alors que samâdhi nomme l’état ainsi atteint lorsque l’attention sur une seule réalité s’écoule en un flot ininterrompu  (…) Dans l’absorption , il n’y a plus séparation entre observateur, observation et observé, et c’est en cela que se fond l’attention»[56].

Ce sutra est fondamental pour comprendre la démarche, la voie du yoga proposée par Patanjali.

 

« Le Samapatti avec raisonnement (savitarka samapatti) est cet état de réceptivité non encore dégagé des constructions mentales liées à l’usage des mots, à leur signification et à la connaissance qui en découle » (S I.42). Autre traduction : «Dans le premier stade d’absorption mentale, nous contemplons un objet grossier, en considérant encore indistinctivement son essence , son nom, et les pensées qui y sont associées ; c’est la contemplation discursive »[57]. Il est fait état de cette contemplation discursive en S I.17 à propos du Samadhi Samprajnata. (sans support).

 

« La mémoire ayant été purifiée, comme vidée de sa substance, l’état d’unité sans raisonnement ne s’intéresse alors qu’à l’objet lui-même, libre des connotations mentales ». (S I.43). C’est la fusion entre la conscience et l’objet. C’est le nirvitarka sampatti.

Dans cet état de concentration, il n’y a plus de différence entre le mot (ou le son du mot) et la connaissance, même au niveau de la mémoire[58].

 

« Cet état de fusion permet alors à la conscience d’appréhender la réalité subtile des choses, même sans activité mentale » (S. I.44). Autre traduction : « On explique de même les stades d’absorption discursive et pure, quand l’objet de la contemplation est une forme-pensée »[59]. L’objet de contemplation est ici soit une pensée, soit un mantra, soit un sentiment etc. Il ne s’agit pas d’un objet physique.

 

« En atteignant la nature subtile des choses, le Samadhi participe à l’indifférencié » (S I.45) . Autre traduction : « Plus subtile que la forme pensée la plus subtile, l’Espace sans forme ».[60]

Autre traduction : « Et la subtilité de l’objet culmine dans l’absence de manifestation ». « Cet aphorisme définit la limite des capacités de l’esprit à percevoir les objets et de ceux-ci à se manifester »[61].

 

« Ces Samadhi eux-mêmes comportent encore des graines » (S I.46) Des réactions du mental peuvent encore se manifester.

« Ce samadhi comporte un point de départ, un support et des étapes progressives »[62].

 

« L’expérience du Samadhi sans activité mentale induit un état intérieur de paix et de clarté » (S I.47).

« Il est alors possible d’être conscient instantanément de sa véritable réalité, et cela quelles que soient les circonstances. (..). Pour un croyant, cet aphorisme correspond à une prise de conscience de la présence divine en soi de son rayonnement »[63].

 

« Là est la connaissance de la réalité » (S I.48). Autre traduction : « Nous découvrons alors la connaissance directe (ou intuitive)  source de vérité ».

 

« La connaissance qui découle de l’enseignement des textes sacrés et de l’exercice de l’intelligence est différente de celle du Samadhi parce que son champ d’expérience est différente » (S I.49). « Cet aphorisme énonce clairement ce qui a fait défaut à l’Occident pendant si longtemps : l’expérience directe, fruit de la méditation. (..) Nous n’avons pas manqué de philosophes brillants, de théologiens astucieux, de profonds penseurs »[64].

 

« L’imprégnation qui résulte de ce Samadhi s’oppose à la formation d’autres types d’imprégnations (samskara : constructions mentales, impressions, imprégnations, prégnance) » (S I.50). La connaissance à partir du Samadhi est d’un autre ordre ; différent du savoir. On ici un éclairage sur le questionnement soulevé par S I.7 qui identifie le raisonnement juste à une agitation du mental.

« Le terme imprégnation (ou samskara) introduit à l’aphorisme 18, représente un mode de fonctionnement humain essentiel. Notre comportement est conditionné par le passé. Chaque intention se concrétise par une série d’automatismes souvent inconscients »[65].

« Tout ce qui précède, afférent à la méditation avec semence, nécessite une conclusion pratique. (..) Il faut s’appuyer sur cette méditation avec semence car cette semence empêche  d’autres effets moins subtils. Cela sous-tend la motivation, le zèle, l’ardeur »[66].

 

« Quand tout cela aussi est supprimé, on connaît le Nirbija Samadhi » (S I.51). Les pensées automatiques sont calmées, c’est l’état de pure conscience.

Le premier chapitre se termine comme il avait commencé (I.2) par le concept de l’arrêt (nirodha), c'est-à-dire la faculté de diriger. Le yoga est le remplacement des fluctuations du mental par sa focalisation, sa transparence. (…). IL n’y a aucune imprégnation d’aucune sorte. L’esprit est ouvert, limpide, simplement transparent »[67].

 

 

2. Le deuxième chapitre ou Sadhana Pada, la voie de l’action

 

La finalité du yoga étant le Samadhi, cet état déconditionné, dans lequel, enfin libre des automatismes de comportement et de pensée, on peut faire un avec la vie, Patanjali, nous parle, dans ce deuxième chapitre, des moyens ou de la stratégie (Sadhana = stratégie) à mettre en œuvre pour créer les conditions favorables à ce processus de transformation.

 

 

2.1 L’accomplissement du Yoga (Kriya-Yoga) et son impact  sur la souffrance

 

« Le Yoga de l’action (autre traduction : l’accomplissement du yoga) se pratique selon trois modalités inséparables : un effort soutenu, la conscience intérieure de soi et l’abandon au Seigneur » (S II.1) Dans cette strophe est utilisé le mot tapas qui signifie ascèse, pratique régulière et sérieuse. Le yoga se pratique dans les asanas, les exercices respiratoires mais aussi dans tous les actes de la vie quotidienne. Ce sont les huit membres du yoga qui sont ici visés par tapas, pratique régulière et sérieuse[68]. Dans cette strophe, il est aussi utilisé le mot svadhyaya qui signifie à la fois connaissance de soi et étude des textes sacrés, l’autre message de ce sutra  est que « la connaissance des textes est inutile si elle ne recoupe pas la connaissance de soi, dans l’expérience de la pratique»[69].

Dans ce sutra, Patanjali nous rappelle, à nouveau, que la juste attitude face à la vie ne peut ignorer la dimension humaine. Mais « l’abandon de soi au Divin est de nouveau rappeler ; car au moment de nous lancer dans l’action, le danger qui nous menace plus que jamais est de nous croire les auteurs de cette action en tant que personne séparée du tout. (…) C’est l’étude de soi qui mène à l’abandon au Divin, qui résulte en une ascèse véritable et bien vécue »[70].

On préférera utiliser le terme « accomplissement du yoga » ou « yoga pratique »[71] pour traduire kriya yoga, afin de différencier ce terme avec le yoga de l’action ( karma yoga ) qui est central dans la Bhagavad-Gita et qui vise l’action de tout homme. « L’homme est malgré lui obligé à prendre part à l’action » (verset 5)  comme Arjuna est obligé à participer au combat.

 

« Kriya Yoga (L’accomplissement du yoga) a pour but d’atténuer les causes de souffrance (klésha) et de permettre le Samadhi (intégration complète avec l’objet de la méditation) » (S II.2). L’accomplissement du yoga va agir en atténuant les causes de la souffrance : il nous faut cesser de vouloir prendre, acquérir pour abandonner, lâcher. Une très intéressante définition de la souffrance nous est proposée par le commentaire de Françoise Mazet : « la souffrance, c’est l’intrusion dans le présent du passé ou de l’avenir, chargés de souvenirs ou de projections qui altèrent la perception de la réalité »[72].

« On peut admettre, par l’étude plus compète des sutras, que le mot samadhi a un sens d’union intime, mieux d’harmonisation intime, d’accomplissement d’achèvement. C’est pourquoi nous proposons plénitude, complétude, sans rejeter enstase (Mircea Elisade) dans certains sutra, ni même, surtout, rejeter réalisation »[73]

Les deux buts du yoga pratique sont : atténuer les causes de la souffrance, permettre le samadhi. Ces deux buts inter-réagissent. Les sutras 3 à 27 exposent comment atteindre le 1er but, et les sutras 28 à 55 exposent comment atteindre le 2ème but. « De 3 à 27, Patanjali enseigne comment vaincre les afflictions (gênes de la pratique du Yoga) et, d’abord, il les définit (sutra 3) sous leur aspect le plus large et universel ; il trouve cinq sources principales, dont la première citée est elle-même source des autres. Il s’agit de la conscience du Réel, que nous appellerons aussi conscience de l’Ultime Réalité. (…). L’absence de conscience étant la source des afflictions elles-mêmes élaborées de 3 à 27 , avec, parallèlement leurs remèdes à partir du sutra 15 qui recrée un point d’équilibre nouveau pour leur compréhension philosophique, il faut construire le coté positif de même importance, poids »[74]

 

 

2.2 Les Kléshas (causes de la souffrance) ou le champ de l’émotionnel

 

2.2.1 Les cinq Kléhas

 

« Les causes de souffrance sont l’aveuglement, le sentiment de l’ego, le désir de prendre, le refus d’accepter, l’attachement à la vie ( autre traductions : la peur de la mort)» (S II.3). Les Vrittis (S I.5 et S I.6). constituent les cinq modalités de la pensée, et les Kléshas, celles de l’état émotionnel. Sous son aspect affectif, c’est encore le mental qui est ici visé; et l’émotion est aussi fluctuante que la pensée[75].

La première affliction (source des quatre autres) est définie par les deux sutras suivants, les autres les sont dans l’ordre[76].

 

(1)« L’ignorance de la réalité (avidya : aveuglement, l’ignorance, la méconnaissance) est la source des autres causes de souffrance, qu’elles soient développées ou en sommeil » (S II.4) L’inconnaissance du réel, l’aveuglement, est bien le champ clos où s’affrontent toutes nos émotions : « l’émotion refuse ou se laisse emporter. Dans les deux cas ; on se dissocie du mouvement de la vie en laissant se glisser entre la vie et soi un jugement, même implicite, une réaction. On est alors décentré, désuni, et la souffrance s’installe »[77].

 

« L’ignorance de la réalité, c’est prendre l’impermanent, l’impur, le malheur, ce qui n’est pas Soi, pour le permanent, le pur, le bonheur, le Soi ». (S II.5). « Il est d’usage de dire « mon corps, ma main, mon mental …. », etc. , et l’on ne pense pas cependant : « Je ne suis pas le corps, le Soi est différent du corps. Ceci est du à l’ignorance. Il faut savoir qui est le Soi réel »[78].

 

(2) « Le sentiment de l’ego vient du fait que l’on identifie le spectateur et le spectacle ». (S II.6) La capacité de voir, c’est Drastar, ce témoin silencieux, cette conscience profonde qui est en nous ; et Darsana, c’est la chose vue par un moi incarné, c’est aussi le point de vue. « Pour le Drastar, il n’y a pas de points de vue, il n’y a que des points à voir »[79]. Il nous faut éviter d’identifier celui qui voit avec la vision, celui qui agit avec l’action. On identifie l’être et le faire. Il nous faut développer en nous la capacité d’observation, l’attitude d’observateur neutre pour faire peu à peu l’expérience du Soi.

Autre traduction : « Considérer la puissance du voyant et la puissance des perceptions comme si elles étaient une, est appelé sens du « je » asmita, (la faculté d’identficiation, l’ego) ». La puissance du voyant est le Soi ( appelé ici drik, le Soi est aussi appelé purusha, svami, atman). La puissance de perception est Chitta. « Quand la puissance du voyant et la puissance de la perception sont considérées comme une, cela est alors appelé sens du « je ». (…) Quand la présence du purusha ou le soi est reflétée dans le Chitta, il obtient la puissance de projection, de modification, et aussi celle de percevoir les modifications »[80]..

« Le système du yoga présente une philosophie dualiste qui distingue dans l’individu : (1) un principe spirituel, (celui qui perçoit) source de la conscience, (2) l’élément matériel, c'est-à-dire l’instrument de perception (darsana) synonyme de prakriti ou ensemble de l’activité mentale, psychique et du corps »[81].

 

(3) « Le désir de prendre est lié à la mémoire du plaisir » (S II.7). «La suite de l’errance, après que nous avons commencé à croire en la réalité du « je », c’est la croyance que nous avons besoin de millions de choses, d’expériences et de phénomènes pour être bien. C’est l’arrivisme de l’être humain cristallisé sans sa croyance d’être un être séparé et limité. Le mental a besoin de se rassurer et la présence des objets d’attachement est très rassurante. Tant que nous nous croirons séparés du reste de l’univers, nous ressentirons toujours un besoin pressant d’acquérir quelque chose que nous n’avons pas; le désir de prendre étouffera l’amour. L’ego a constamment besoin d’être nourri et rassuré. » (…). Dès que nous nous croyons une personne, l’attachement normal à la vie se transforme en un attachement au sujet (« je») . Plus tard, cela devient attachement à l’objet. La joie originelle perd sa limpidité et son inviolabilité ; elle s’alourdit, laisse des traces dans la mémoire, devient plaisir, ou plutôt recherche de plaisir, et tourne finalement en souffrance. Vouloir reproduire une expérience particulière encore et encore, c’est la recherche du plaisir et cela mène à la souffrance. Ce mécanisme compulsif et répétitif tient à notre incapacité de déceler le désir véritable en nous, qui est toujours le non-désir, la paix profonde » [82].

Le désir de prendre, l’attachement, peut se manifester autant vis-à-vis d’objets matériels que spirituels (abandon de responsabilités pour se réfugier dans un attachement excessif à la recherche spirituelle)[83].

 

(4) « Le refus est lié à la peur de souffrir » (S II.8) Le désir et le refus, deux attitudes opposées, différentes de la seule qui soit adéquate face à la vie ; dire oui à ce qui est[84]. Quand le désir de prendre est prépondérant, on a tendance à accumuler les projets, les actions, les engagements. On est constamment happé vers l’extérieur, attitude refuge face à la peur de la vie intérieure. A l’inverse, dans le refus automatique, on fuit le monde extérieur, l’action, on se réfugie dans l’immobilisme, dans l’attente. L’équilibre est entre les deux. Il en est de même dans les asanas. Aller aussi loin que possible dans la prise de posture, sans pour autant créer des tensions, négocier dans le calme, avec un ligament récalcitrant sans renoncer, atteindre ses limites. La pratique des asanas est donc un apprentissage de l’équilibre de l’agir dans le non-agir.

Le refus, « la répulsion est fondée sur les expériences perçues comme désagréables expérimentées dans le passé et les imprégnations mentales qui en résultent. Qu’elles soient conscientes ou non, elles restent figées dans le souvenir, sans tenir compte de l’évolution de la situation, qui n’est jamais totalement identique au passé. Alors nous préjugeons une situation et nous anticipons à tort. Provenant du même mécanisme que l’attachement (II.7), mais à l’inverse, la répulsion conduit à l’isolement et au maintien d’un milieu conflictuel autour de soi. Entretenant les préjugés, les a priori, les idées négatives toutes faites, cette attitude agressive, est l’une des principales causes des échecs relationnels, familiaux, professionnels, amicaux »[85].

 

(5) « L’instinct de conservation, lié au sentiment que l’on a de son importance, est enraciné en nous, même chez l’érudit » (S II.9) L’instinct de conservation se manifeste de mille façons : la peur de manquer, la précipitation pour l’action, ….  Chez l’érudit, le savoir n’est pas la connaissance. Il n’a pas de connaissance sans re-naissance, c'est-à-dire, sans transformation personnelle et plus encore sans transformation spirituelle.

Autre traduction : « La peur de la mort découle de l’amour spontané de la vie ; cet amour est profondément enraciné en chacun de nous, peu importe le niveau d’instruction ». « La croyance que  nous sommes le corps, une entité éminemment changeante et mortelle, alors qu’au plus profond de nous nous savons immortels, déclenche ce mouvement de refus, de révolte et de panique, que nous appelons la peur de la mort »[86].

« La peur de l’inconnu n’est-elle pas créée par l’attachement au connu, c’est-à-dire la peur de voir disparaître ce que l’on est : identité, personnalité, image publique, et ce l’on a : corps, santé, relations sentimentales, biens matériels ? »[87].

« La cinquième source qui ferme le cycle, est, sans conteste, aussi la source-origine, il s’agit en fait de la peur de la mort qui domine même les doctes. Patanjali a déjà, à la fin du sutra 9, constuit tout son Yoga, circulairement, sur les points d’appui extrêmes de la peur de la mort et de l’absence de la conscience de la Réalité »[88].

 

2.2.2 Comment éliminer la souffrance

 

« Quand les causes de la souffrance sont légères, on peut les éliminer en les prenant à contre-courant ». (S II.10) Les commentaires de ce Sutra par Françoise Mazet sont fort intéressants : « Dans la souffrance qui souffre ? L’ego, parce que le désir du moment n’est pas satisfait, ou qu’il refuse ce qui est, ou qu’il a peur de l’avenir. Et la cause essentielle est toujours la confusion mentale. Essayer d’atténuer la souffrance par la réflexion est un non-sens. Même le raisonnement juste, nous dit Patanjali, est une Vritti, une agitation du mental et cela ne peut que renforcer la confusion. Aller à contre-courant, c’est lâcher-prise, cesser de se débattre, ne pas chercher d’argument ou d’explication à la souffrance ; c’est inverser le processus par lequel le mental nous entraîne dans des raisonnements basés sur le passé et nous coupe de notre conscience profonde. Dans la pratique, la posture inversée permet de vivre concrètement cette expérience. L’attitude debout, en mouvement, est celle de l’être humain engagé dans son extériorité. Toute posture inversée renverse cette tendance et favorise le retour vers l’unité »[89].

 

« Les perturbations mentales qu’elles entraînent peuvent être éliminés par la méditation » (S II.11). L’état de méditation dans lequel le mental est apaisé, sans automatismes, permet d’être en relation avec ce qui est. « Mais la méditation seule ne vient pas à bout des causes subtiles de souffrance. Il faut que l’intellect s’éclaire et se pénètre complètement de la lumière, qui transforme la pensée »[90].

 

« Au cours de naissances successives, on expérimente la loi du Karma, qui trouve ses racines dans nos afflictions » (S II.12). La loi du Karma désigne les conséquences inéluctables d’actes accomplis dans une existence antérieur, ou dans celle du moment.

Autre traduction : « La souffrance provient des impressions mentales laissées par l’action ; ces impressions portent ses fruits dans cette vie ou dans les vies futures ». « La souffrance résulte des conditionnements mentaux, fondés sur les impressions résiduelles des expériences passées. L’expérience fraîche engendre des impressions qui créent un conditionnement, qui engendre de nouvelles expériences, moins fraîches, qui renforcent les impressions originelles, qui, elles, renforcent les conditionnements »[91].

 

« Tant que la racine est là, le développement des Kléshas se fait au cours de naissances, de vies et d’expériences » (S II.13)

« Ce qu’il nous faut, c’est une action qui ne laisse pas de traces susceptibles de perpétuer l’errance. Pour cela nous devons cesser de revendiquer les actions et leurs fruits, ce qui veut dire nous abandonner envers la vie qui nous porte, envers la vie que nous sommes. En fait ce n’est pas l’action qui laisse des traces, c’est ce que nous en pensons, c’est notre appropriation de l’action, l’idée que nous en sommes l’auteur et le bénéficiaire en tant que personne séparée. Ce que nous appelons méditation demeure l’incontournable attitude permettant l’abandon réel envers cela qui agit en nous »[92].

 

« Selon qu’elles sont justes ou non, ces expériences produisent la joie ou la souffrance » (S II.14)

«La joie est l’état de conscience du Tout en harmonie avec lui-même ; l’action juste tient compte du Tout et c’est pour cela qu’on la nomme juste. L’action non juste ne tient compte que d’un aspect de la réalité (…) La nature de la joie est l’unité, la nature de la souffrance est la séparation »[93].  

« Le contact actif du mental avec les objets sensuels par l’intermédiaire des sens et la jouissance du bonheur dérivé d’eux, ne donnent jamais satisfaction. Cela augmente au contraire l’extrême attachement pour ces objets et si on ne peut pas les obtenir, on se sent affligé »[94]

 

« Pour le sage, tout est douleur, parce que nous sommes soumis aux conflits nés de l’activité des Gunas et à la douleur inhérente au changement, au malaise existentiel, au conditionnement du passé » (S II.15). La souffrance de la vie humaine est due à l’ignorance de la vraie nature du soi. « Le mental ne peut pas nous aider car le soi est d’une autre nature. Seule la pratique spirituelle peut nous donner la connaissance et supprimer la douleur »[95].

Autre traduction : « Les oppositions dynamiques des énergies fondamentales (gunas) ne laissent rien de permanent, ce qui entraîne de l’angoisse et des impressions mentales génératrices de détresse ; celui qui a développé son discernement sait que tout cela est souffrance ». « Tant que nous ne sommes pas établis dans la conscience du Tout, nous agissons partiellement et nous demeurons esclave de la souffrance. En ce monde tout passe ; pour celui qui s’accroche à quoi que ce soit l’érosion et l’annihilation ultime de toutes les structures ne peuvent que causer de l’angoisse »[96].

Autre traduction : « L’univers du discernement (n’est ) seulement pénible (que) par les peines (venant de) l’ardeur excessive, et par l’opposition entres les modes naturels et les activités mentales » . « Il n’y a pas de quoi faire de ce sutra un pessimisme existentiel ou un constat de l’universelle souffrance à la façon du courant bouddhiste. D’ailleurs, le sutra 16 corrobore notre opinion annonçant la victoire sur la misère à venir, misère due à l’identification du sujet de l’expérience (le voyant) avec l’objet de l’expérience (le vu) »[97].

 

« La douleur à venir peut être évitée » (S II.16) par le lâcher-prise dans le présent.

« Il n’y a rien d’autre à faire, en ce qui concerne la souffrance actuelle, que de la reconnaître ; mais la souffrance qui n’a pas encore été mise en route peut être évitée. (…)  Peu importe ce que nous avons fait auparavant, nous pouvons nous remettre sur la voie de l’harmonie du Tout, nous pouvons corriger notre trajectoire »[98].

« La souffrance peut présenter l’aspect positif d’amener à réfléchir sur ses causes et à modifier son comportement en conséquences (II.3 à II.15). Elle devient facteur de progression. Cet aphorisme met en valeur l’un des principaux buts du yoga : l’élimination de la souffrance »[99].

 

2.2.3 La cause première de la souffrance est la confusion entre celui qui voit et ce qui est vu

 

« L’identification entre celui qui voit et ce qui est vu constitue la cause première de la douleur qui peut être évitée » (S II.17). Ce sutra est une reprise de (S II.6). « Celui qui voit et ce qui est vu, le spectateur et le spectacle, le Soi et la matière, la conscience profonde et la conscience mentale, la conscience universelle et le monde manifesté, autant de termes pour désigner ce que le Samkhya appelle Purusha / Prakriti, couple indissociable dans la vie humaine »[100].

« La douleur et le plaisir, le chaud et le froid et tout autre affliction proviennent du contact du voyant avec le vu. Le voyant est le Soi, le Purusha. Tout en dehors du Soi est le vu. Comme le Soi voit toutes ces manifestations depuis le chitta jusqu’à l’univers dense, Il est appelé le voyant et le chitta et les autres manifestations sont appelés le vu »[101].

Autre traduction : « La cause de ce qui doit être évité est l’union entre le principe de conscience et ce qui est perçu ». « Par définition, le principe de conscience est un, hors des fluctuations, des qualités, des attributs et du temps. L’univers matériel se manifeste à des niveaux plus ou moins subtils (règne minéral, végétal, animal) ; genre humain (incluant les plans émotionnel, intellectuel, etc. ) »[102].

 

« Le monde matériel se manifeste dans l’immobilité, l’activité ou la clarté. (les trois gunas). Les éléments naturels et les organes sensoriels le composent. La raison de cette manifestation est d’en jouir ou de s’en libérer ». (S II.18) On peut nourrir le processus karmique, en acceptant de vivre les bonheurs et les souffrances ; ou essayer, par la pratique du yoga, de s’en libérer.

 

« L’activité des gunas se manifeste à des niveaux différents sur des éléments grossiers ou subtils, manifestés ou non » (S II.19) Les gunas structurent tout ce qui relève de la Prakriti.

« Dans la relation observateur-observé (…) les différences viennent davantage de l’esprit de l’observateur que de l’objet observé. Elles sont liées à sa qualité d’observation et à sa connaissance du domaine observé. L’enseignement à retenir est qu’au sein d’interactions illimitées : on ne perçoit jamais tout, chacun a une vision différente d’un objet donné, chaque saisie sensorielle d’un objet est différente »[103].

 

« Drashtar, celui qui voit, est uniquement le pouvoir de voir. Mais bien que pur, il est témoin de ce qu’il voit » (S II.20).

Autre traduction : « Bien que le voyant soit pur et seulement un témoin, il regarde les modifications du chitta ». « Le sutra explique la position du voyant, le Soi à l’intérieur. Il est pur et parfait et sujet à aucune modification. Il ne fait qu’être témoin des modifications. Il ne suggère, ni commente jamais sur la nature des modifications. (…) Le Soi se reflète dans le chitta et le Soi est la connaissance elle-même. La présence de la connaissance dans le chitta donne ainsi la possibilité de connaître, de comprendre les objets perçus ou conçus en assumant précisément l’objet lui-même. C’est cette connaissance réfléchie dans le chitta qui assume la forme de l’objet perçu ou conçu. Par conséquent, la connaissance de chaque objet et de toute chose est à l’intérieur »[104].

Autre traduction : « Le principe de conscience n’est que perception ; bien que pur, il expérimente à travers le psychisme ». « Le principe spirituel exerce sa faculté de perception à travers le mental défini par ces cinq activités (I.6). La qualité de perception sera donc fonction du degré de clarté ou de dispersion du mental »[105].

 

« La raison d’être de ce qui est vu est seulement d’être vu » (S II.21)

Autre traduction : « La manifestation n’existe que pour l’être »[106]

« Le monde objectif n’existe pas pour lui-même mais pour servir l’être profond. (…). Chaque circonstance de la vie quotidienne est une expérience où se développe plus ou moins la conscience, la perception, la lucidité. Si rechercher la perfection de l’acte est important, l’essentiel est d’affiner toujours plus la perception fondamentale, la saisie directe de soi-même et des autres »[107].

 

« Pour celui qui atteint ce but, cela disparaît, mais continue d’exister pour les autres » (S II.22

Autre traduction : « L’illusion du monde n’existe plus pour celui qui a réalisé la conscience ; mais elle n’est pas détruite pour autant, car elle continue pour les autres ».[108] °

Ce sutra est une réponse à ceux qui soulève le doute, que si le monde n’existe pas, comment peut-on l’expérimenter.

« La fonction de tout objet est de servir un principe de conscience. Quand il a rempli sa fonction, il n’a plus de raison d’être. Mais il peut servir à d’autres êtres et ainsi continuer d’exister. (…) . La communication s’établit à travers les moyens appartenant à l’univers manifesté et les organes des sens. Leur subsistance est indispensable, même pour un être libéré afin qu’il puisse rester en relation avec les autres »[109].

 

« Le Samyoga (état d’unité que donne le Yoga, le contact étroit entre le principe de conscience et le principe d’action) permet de comprendre la nature propre de ces deux facultés, celle de voir et celle d’être vu » (S II.23).

« C’est le sens de la vie humaine et de l’univers entier que de connaître la nature du Soi. Le Soi ne peut être connu comme un objet. La connaissance des choses nous fait découvrir ce que n’est pas le Soi ; avec la méditation « l’autre état » (I-18) émerge dans le système nerveux »[110].

« Cet aphorisme souligne le fait que nous progressons en nous engageant dans l’expérience.(..) Prendre le risque de se tromper en agissant favorisera la compréhension de l’action et la manière dont on se comporte dans l’action ».[111]

 

2.2.4 La discrimination (spectateur / spectacle) pour mettre fin à l’état de confusion

 

« La non-connaissance du réel est la cause de cette confusion entre les deux » (S II.24)

La non-connaissance, l’ignorance, c’est l’incapacité de faire la différence entre la forme et l’être[112].

« Cette situation se produit chaque fois que nous nous enfermons dans une opinion erronée ou bien lorsque, ayant compris une réalité, nous l’oublions dès que les circonstances ne sont pas là pour nous le rappeler »[113].

 

« Quand la non-connaissance du réel disparaît, disparaît aussi l’identification du spectateur et du spectacle. Alors le spectacle n’a plus d’existence. C’est la libération du spectateur » (S II.25). « Le spectateur, conscience universelle, reste dans sa solitude, libre de touts les attachements. C’est l’état d’unité, de pure conscience » [114];

 

« Le discernement, pratiqué de façon ininterrompue, est le moyen de mettre fin à l’inconnaissance du réel » (S II.26).

« Le mot clé est ici interrompu. Le discernement doit être continu, sinon l’errance remplit les interstices »[115].

Discernement : « c’est accroître sa faculté de jugement, c’est voir l’essentiel clairement, sans ambiguïté et de façon durable. C’est avoir un esprit lucide qui perçoit objectivement et positivement personnes, situations, problèmes. Cette lucidité vient de la saisie de la différence entre le principe de conscience et le reste : le mental, les sens… »[116].

 

« La connaissance de celui qui pratique la discrimination devient graduellement sans limites » (S II.27)

 

« Quand les impuretés du mental sont détruites par la pratique du Yoga, la lumière de la connaissance donne à l’esprit la discrimination » (S II.28).

 

2.3  Le moyen de développer la faculté de discrimination, l’Ashtanga Yoga

 

« Les huit membres (angas) du yoga sont : les règles de vie dans la relation aux autres (yama), les règles de vie dans la relation à soi-même (niyama), la pratique de la posture (asana), la pratique de la respiration (pranayama), l’écoute intérieure (pratyara ou retrait des sens), l’exercice de la concentration (dharana); la méditation (dhyana), l’état d’unité (samadhi) » (S II.29). Ce moyen d’action, avec ses huit membres, constitue l’Ashtanga Yoga ou le Yoga de Pantajali.

 

Les Yamas

« Les Yamas sont la non-violence, la vérité, le désintéressement, la modération, le refus des possessions inutiles » (S II.30)

Autre traduction : « La discipline consiste dans le respect de la vie, la franchise, la non-convoitise, la chasteté et la retenue »[117].

 

« Ils constituent une règle universelle, car ils ne dépendent ni du mode d’existence, ni du lieu, ni de l’époque, ni des circonstances ». (S II.31)

 

Les Niyamas

« Etre clair dans ses pensées et ses actes, être en paix avec ce que l’on vit, sans désirer plus ou autre chose, pratiquer avec ardeur, apprendre à se connaître et agir dans le mouvement de la vie ; telles sont les règles de vie que propose le Yoga » (S II.32)

Autre traduction : « Les observances sont la pureté, le contentement (santosa), l’ascèse, l’auto-observation et l’abandon au Divin »[118].

 

Méditer sur les contraires dans la pratique des Yamas et Niyamas

« Quand les pensées pertubent ces attitudes, il faut laisser se manifester le contraire » (S II.33) « En méditant sur le contraire, on rétablit l’équilibre. C’est simple, évident, et si difficile à appliquer »[119]

« Pendant la pratique des yamas et niyamas beaucoup d’obstacles peuvent apparaître. Toutes les fois que de telles entraves surviennent, l’aspirant doit chérir la grandeur et l’utilité des yamas et niyamas et penser au mal qui sera fait par les opposés des yamas et niyamas, c'est-à-dire la colère, la sensualité , la jalousie, l’avidité, la haine, la tromperie, la paresse etc ; ».

« La méthode proposée consiste non à refouler les pulsions contradictoires mais à prendre du recul pour les voir d’un œil neuf afin de mieux les comprendre, les analyser, anticiper leurs effets négatifs »[120].

 

Exemple de pensée pertubatrice : la violence

 « Ces pensées, comme la violence, qu’on la vive, la provoque ou l’approuve, sont causées par l’impatience, la colère et l’erreur. Qu’elles soient faibles, moyennes ou fortes, elles engendrent une souffrance et une confusion qui n’ont pas de fin. Méditer sur le contraire empêche cela » (S II.34)

 

« Si quelqu’un est installé dans la non-violence, autour de lui, l’hostilité disparaît » (S II.35)

Autre traduction : « Quand nous sommes installés dans le respect de la vie, tout animosité disparaît autour de nous »[121].

 

Les bienfaits apportés les Yamas et les Niyamas

« Quand on est établi dans un état de vérité, l’action porte des fruits appropriés » (S II.36)

« Le mensonge, la tromperie, la duplicité, etc., tout cela exprime la tentative d’en arriver à une fin, à sa fin, en la traitant d’une façon séparée du reste, ou du Tout »[122].

 

« Quand le désir de prendre disparaît, les joyaux apparaissent » (S II.37) Ne plus avoir besoin de prendre, permet d’être disponible et d’être libre de recevoir[123].

 

« Etre établi dans la modération donne une bonne énergie de vie » (S II.38)

Autre traduction : « Fermement établi dans la chasteté, nous disposons d’une grande énergie intérieure ». « Qu’est ce que la chasteté ? Le mot brahmacarya signifie littéralement « celui qui suit l’exemple de Brahma » . Brahma est le créateur, l’énergie créatrice. Celui qui est fermement établi dans cette « chasteté » maintient son attention sur l’énergie créatrice, c'est-à-dire sur l’énergie tout court. En particulier, il ne comprend pas l’énergie dite sexuelle comme étant une énergie à part des autres, au point d’en faire quelque chose de très spécial. La chasteté véritable n’a rien à voir ni avec une vie sexuelle, ni avec sa répression ».[124]

 

« Celui qui se désintéresse de l’acquisition de biens inutiles connaît la signification de la vie » (S II.39).

« Quand nous cessons d’être le jouet des désirs, nous pouvons commencer à voir clair dans le mécanismes des incarnations »[125].

« Si notre esprit n’est plus tourmenté par l’acquisition et l’entretien des biens, nous comprenons d’où nous venons, où nous sommes et où nous allons »[126].

 

« La pureté nous amène à être détaché de notre corps et celui des autres » (S II.40)

« Ce qui est pur est un, non mélangé à quoi ce soit d’autre. La pureté totale est la réalisation de l’Unique, de l’être. (…). Le corps est le temple de l’esprit ; s’il est bien tenu, l’esprit y élira sans peine sa demeure. Dès lors nous ne rechercherons plus la compagnie des autres corps, mais plutôt la présence de leur être »[127].

 

« Le fait d’être pur engendre la bonne humeur, la concentration d’esprit, la maîtrise des sens et la faculté d’être en relation avec la conscience profonde » (S II.41)

 

« Par la pratique du Samtosha (état de contentement) on connaît le plus haut degré de bonheur » (S II.42) ; Pratiquer le Samtosha , ce n’est pas se contenter ponctuellement de quelque chose. C’est l’état de contentement, un état d’esprit, une attitude mentale, qui oriente les pensées, les actes, les réactions. C’est vivre au présent, dans un état de paix intérieure dans lequel il n’y a plus ni manque, ni volonté d’obtenir »[128].

« Le contentement veut dire la capacité de demeurer content, même en l’absence d’objets désirés . (…). La sagesse courante veut que l’essence de la vie consiste en la recherche du bonheur en essayant d’atteindre quelque chose qui nous fait défaut. Or l’objet qu’il soit physique, intellectuel ou émotif est toujours limité et ne peut que livrer un bonheur également limité. De plus, la poursuite du plaisir asservit davantage à l’objet, ou à l’idée d’objet »[129].

 

« Grâce à une pratique intense, qui entraîne la destruction de l’impureté, on améliore considérablement le fonctionnement du corps et des sens » (S II.43). Le commentaire de Françoise Mazet apporte un éclairage très intéressant : « Le Soi est intégré à notre réalité charnelle. Comment connaître le Soi, si le corps et les sens, chargés d’impuretés, opacifiés, font écran, accaparent notre attention ? »[130].

Autre traduction : « La discipline de vie apporte la plénitude du corps et des dix fonctions sensorielles par l’élimination des impuretés ». « La discipline de vie signifie ici l’ascèse du juste milieu qui satisfait les besoins réels de l’être ; pour prendre soin du corps et de l’esprit sans les encombrer d’éléments inutiles ou nuisibles »[131].  Les cinq sens de perception (ouïe, toucher, vue, goût, odorat) et les cinq sens d’action (parole, préhension, locomotion, procréation, excrétion). 

« Par la pratique régulière de tapas (ascèse), le yogi atteindra la puissance des sens et du corps ; En général, l’ouïe ; la vue, etc. des gens ne sont pas les puissances authentiques des oreilles, des yeux, etc . Ils peuvent atteindre la perfection par tapas. Les oreilles seront  en mesure d’entendre les sons lointains et subtils. Les yeux peuvent voir même un objet subtil présent en un lieu éloigné »[132]. Ces pouvoirs sont expliqués en détail le chapitre III.

 

« L’état d’intériorisation permet l’union totale avec la divinité d’élection ». (S II.44).

Autre traduction ; « A force de méditer sur nous-mêmes, nous en arrivons à la communion avec notre déité bien-aimée »[133].

Autre traduction : « L’union avec la divinité choisie provient de l’étude de soi par les textes sacrés ». Le mot sanskrit svadhayaya : étude de soi par les textes sacrés.[134]

 

« Par l’abandon à Dieu, s’accomplit la réalisation du Samadhi ». (S II.45)

 

Les Asanas

« Asana : être fermement établi dans un espace heureux » (S II.46)

« Les asanas ou postures de hatha yoga, ont pour principale vertu de permettre au corps de s’asseoir en méditation sans être dérangé »[135]. La posture ou l’asana ici visée est le lotus.

« La racine verbale as de asana est riche de sens. C’est l’idée d’être présent à son corps, de l’habiter, d’y exister, d’y demeurer, d’agir sans interruption ou de tenir une position longtemps, de la défendre. C’est aussi l’idée d’un rituel. (…) . Chacune des qualités, fermeté et douceur, est autant physique que psychique. Elles sont constitutives de la posture, c'est-à-dire qu’il n’y a véritable posture en yoga que si ces deux qualités sont réunies. Leur ensemble correspond à l’état d’équilibre (sattva) sans agitation (rajas) ni apathie (tamas) »[136].

 

« Grâce à la méditation sur l’infini et au renoncement à l’effort-volonté » (S II.47). « L’asana est ce moment parfait où, le corps étant absolument tranquille, tout effort de volonté aboli, la sensation et la respiration sont suspendues et immobilisent le temps »[137]. L’asana est un équilibre entre les deux pôles : méditation, et renoncement à l’effort-volonté.

« Cet aphorisme donne deux moyens pour maîtriser une posture. Le premier moyen , l’effort juste vers la détente, consiste à adapter la pratique à ses possibilités (…) ; La transformation mentale vers l’harmonie vers l’infini en soi, est l’entrée dans une dimension plus subtile que le simple plan physique et psychique : c’est la spiritualité et la prière ».[138]

 

« A partir de cela, on est plus assailli par les dilemmes et les conflits » (S II.48). Grâce aux asanas, et par le corps on expérimente la coexistence entre les opposés (détente / effort par exemple) ; c’est de cette opposition vécue que se dégage l’état de bonheur d’un asana. « Cesse alors la vision duelle du monde, qui morcelle et défigure la réalité »[139].

« Nous vivons dans un univers où nous sommes amenés à subir des contraintes appelées paires d’opposés telles que : le chaud et le froid, l’immobilité et la mobilité, le succès et l’échec, l’excès et le manque, l’amour et la haine ; la naissance et la mort, la vie et le néant,.. ».[140] Les asanas comme apprentissage à vivre les tensions des opposés et notamment celle l’inspire et l’expire .

 

Pranayama

« Ceci étant accompli, on expérimente le Pranayama qui est l’arrêt des perturbations de la respiration » (S II.49). La respiration yogique qui est fluide, régulière, lente, s’obtient par l’attention et la conscience de la respiration.

Autre traduction : «Nous pouvons alors développer notre énergie, en pratiquant la non-respiration, le pranayama ».  Prana est l’énergie vitale. « Le pranayama vise à mener l’attention au-delà du cycle normal d’inspiration et d’expiration. »[141].

« La maîtrise des postures, telles qu’elle est définie dans les trois aphorismes précédents, est un préalable à la pratique de la régulation du souffle qui nécessite l’immobilité eu corps et le calme de l’esprit. Il faut un minimum de bien être physique et de paix psychique, pour aborder une pratique du contrôle du souffle. (…). La plupart du temps, le respiration est un phénomène automatique et inconscient. Elle s’adapte aux activités, aux pensées et aux humeurs qui souvent la dérèglent. Contrôler le souffle, c’est quitter ce fonctionnement pour entrer dans une respiration consciente»[142].

 

« Les mouvements de la respiration sont l’expir, l’inspir et la suspension. En portant l’attention sur l’endroit où se place la respiration, sur son amplitude et son rythme, on obtient un souffle allongé et subtil » (S II.50) . L’important c’est la conscience de la respiration.

« Plus la conscience individuelle est épaisse, plus le souffle se fait lourd et grossier ; au contraire la conscience individuelle raffinée a le souffle profond et subtil. En retour l’acquisition d’un souffle profond et subtil, élève et raffine la conscience. »[143]

« L’expiration, mouvement respiratoire exprimant la détente et le don, est cité en premier. L’inspiration est citée en premier lorsque la respiration inharmonieuse est un symptôme d’agitation mentale (I.31). (…) Sans longueur ni subtilité du souffle, il n’existe pas de contrôle du souffle »[144].

 

« Une quatrième modalité de la respiration dépasse le plan de conscience où l’on distingue inspir et expir » (S II.51). C’est la respiration yogique quasi immobile, dans lequel le souffle est suspendu, poumons moitié pleins, dans cette communion avec le subtil.

« C’est un état d’accomplissement du contrôle du souffle, de paix et de calme profond, non issu de la volonté. Il transcende la technique et conduit au-delà de l’aspect matériel »[145].

« Par la pratique des postures, le corps atteint un état d’équilibre. Par le contrôle du souffle, c’est l’esprit lui-même qui atteint l’équilibre. Il n’est ni somnolent, ni lent à comprendre (tamas), ni trop précipité ou passionné (rajas) voir clair (sattva) »[146].

 

« Alors ce qui cache la lumière se dissipe » (S II.52)

« Le processus habituel de la respiration non consciente de l’énergie participe au recouvrement de la lumière, à l’obscurcissement de la réalité. Sa substitution par l’état de cessation parfaite nous fait déboucher dans l’inconnu, là où il n’y a rien d’autre à connaître ».

 

« Et l’esprit devient capable de diverses formes de concentration » (S II.53)

« Par la pratique du pranayama, le voile du mental est enlevé et la compétence pour la concentration est atteinte »[147].

« L’état de concentration (dharana) est triple ; car il porte en lui les deux développements suivants : le méditation (dhyana) et le samadhi »[148].

 

Pratyahara (écoute intérieure, retrait des sens) ou 5ème membre du yoga

La connaissance du Soi par nos sens, par notre corps

 « Quand le mental n’est plus identifié avec son champ d’expérience, il y a comme une réorientation des sens vers le Soi » (S II.54) ; Ce sutra confirme que le Soi est accessible par notre corps.

La juste place des organes de perception (les cinq sens de perception, les cinq sens d’action :la parole, la préhension, la locomotion, la procréation, l’excrétion et aussi le mental, manas, qui coordonne l’ensemble des cinq sens) est d’être des instruments au service de l’esprit. Quand l’état de concentration nécessaire à une recherche plus subtile que la satisfaction des sens est installé, cette capacité d’accepter ou de laisser en attente les sollicitations extérieures se produit spontanément. Il devient possible, et sans refoulement, de rentrer chez soi sans se précipiter sur la radio, la télévision, le réfrigérateur ; les magazines, le travail, etc. ».[149]

 

« Alors les sens sont parfaitement maîtrisés » (S II.55). On accède alors à la méditation ou Dhyana.

« La maîtrise suprême des sens ne consiste pas à les réprimer ou à les mépriser. La maîtrise suprême des sens consiste à connaître notre nature véritable »[150].

Autre traduction : « Alors c’est l’ultime maîtrise des (dix) fonctions sensorielles »[151].

 

 

3. Le troisième chapitre ou Vibhuti Pada, décrit les "manifestations" de puissance et d’énergie, d’autres niveaux de conscience, comme résultat de l’action juste,

 

« Le deuxième chapitre introduisait le principal moyen pour atteindre le but du yoga : les huit membres. Les cinq premiers constituent la fin de ce chapitre 2 et les trois derniers  le début du troisième. Patanjali souligne ainsi le fait que ces trois derniers membres (ou membres internes) sont plus un résultat qu’un moyen (…) Nous entrons dans la dimension mentale et psychique du yoga »[152]. On aborde ici les trois membres internes du yoga pratique.(kriya-Yoga).

 

3.1 Définition de Dharana, Dhyna, Samadhi et du Samyama

 

« Dharana est la relation d’attention du mental à un secteur déterminé » (S III.1). Dharana est la concentration volontaire et délibérée sur un objet déterminé. En yoga, l’attention peut se porter sur la respiration, les sensations, sur les pensées qui passent. Mais qu’elle que soit la qualité de l’attention, il y a le sujet, la relation, l’objet.

Jean Bouchart d’Orval préfère traduire Dharana par recueillement, parce que le mot concentration a trop été associé à un processus coercitif. « La pensée s’est habituée à recueillir l’étant, la forme ; Il s’agit de recueillir l’être de tous les étants. La vie est une offrande ; la mission de l’homme consiste à la recueillir telles quelle »[153].

« Les sens peuvent percevoir les objets avec leur forme dense, mais ne peuvent jamais pénétrer à l’intérieur des objets en transcendant le nom et la forme. (..) La perception d’un objet dans sa nature réelle par le seul mental, en s’isolant de tous les cinq sens, est la concentration. Dans la concentration, la distance spatiale et la localisation de l’objet disparaissent, et l’objet devient proche du mental. En concentration on peut voir, très proche de soi, un individu en personne et lui parler, où qu’il soit. La distance peut être vaincue par le mental. En fait la distance est une projection du mental ; cela peut être diminué par la concentration »[154].

 

« Dhyana est le fait de maintenir une attention exclusive sur un seul point » (S III.2). Dans la méditation, Dhyana, la relation entre sujet et objet n’est plus perceptible, il reste cependant la dualité : sujet / objet[155].

Autre traduction : «Lorsque l’objet du recueillement (ou de la concentration) occupe  le champ de la conscience d’une façon totale et ininterrompue, c’est la méditation ». « Lire, écouter de la musique, marcher, penser, danser, etc. ne sont pas des formes de méditation si l’attention passe d’un objet à un autre (..) La méditation mène inexorablement à l’abolition de toute distance entre un sujet méditant et un objet de méditation»[156].

« La concentration devient méditation lorsqu’elle se prolonge un certain temps sur le même objet »[157].

 

« Quand la conscience est en relation avec cela même qui n’a pas de forme, c’est le Samadhi ». (S III.3)

Autres traductions : « Lorsque la nature essentielle de l’objet resplendit en toute pureté, comme s’il n’avait plus de forme, c’est le samadhi ». « Il n’y a plus d’observateur séparé de l’objet ou encore d’objet différent de l’observateur »[158].

« Ce dhyana (contemplation) en lequel l’objet seul est perçu, comme si le contemplateur avait perdu sa propre forme, est samadhi ». « Lorsque le mental contemple le Soi, ou Ishavara, il perd sa propre identité et devient le Soi lui-même. Dans cet état, tous les objets qui sont sujets de la perception du mental semblent avoir disparu, et seul le Soi existe. [159]. L’intelligence, (buddhi) plus subtile que le  mental prend en charge la perception. (à vérifier)

Autre traduction : « Cet état précisément le samadhi quand brille seulement l’essence de l’objet, l’esprit comme dépourvu de sa personnalité ». « Lorsque la méditation se prolonge, elle conduit au samadhi ou intégration complète avec l’objet de la méditation. (…) Seule l’essence de l’objet demeure dans le mental. (…) La saisie de l’objet est si forte que la perception de notre propre personnalité semble avoir disparu. Nous nous oublions provisoirement dans l’objet dont la compréhension est totale et profonde »[160].

 

« L’accomplissement des trois est le Samyama » (S III.4). Le Samyama est l’usage et la conséquence de l’état de méditation (Dhyana) et le comportement induit par l’état d’unité (Samadhi).

« Même après avoir atteint le samadhi, pendant un certain temps, chaque fois que le yogi veut parvenir au samadhi, il lui faut d’abord pratiquer la concentration, puis la contemplation (ou méditation) et ensuite seulement il est en mesure d’arriver au samadhi. Ce processus continuera jusqu’à ce que le samadhi devienne son état naturel sahajâvasthâ »[161].

Ce sutra « est la porte d’entrée du troisième chapitre, car les pouvoirs qui y sont présentés sont obtenus par le samyama ».

 

« La pratique du Samyama donne l’éclat de la connaissance » (S III.5). « C’est une connaissance totale et immédiate au-delà des sens »[162].

Autre traduction : « Une fois le samyama maîtrisé, l’intelligence suprême s’épanouit »[163].

 

« Son application se fait par étapes, d’un territoire acquis à un autre » (S III.6).

« Patanjali précise qu’une évolution se déroule par paliers, nécessitant des objectifs intermédiaires et des moyens différents à chaque étape. (…) Le mot viniyoga signifie l’évolution par étapes ; l’adaptation des moyens à chaque étape. (…) Il convient d’adapter le yoga à l’individu et non l’individu au yoga »[164].

 

« Ces trois aspects du Yoga sont plus intérieurs que les précédents » (S III.7). Yamas, Niyamas, Asana, Pranayama, pratyahara sont les moyens pratiques ; Ils constituent la voie externe. Avec Samyama on aborde « la voie interne où l’effort d’attention cède la place à l’état d’attention »[165].

 

« Et ceci est plus extérieur [que le Samadhi Nirbija] » (S III.8).

Autre traduction : « Mais même le samyama demeure un exercice en deça du samadhi absolu »[166]

 

3.2 Nirodhaparinama ou le processus de transformation de samyama

 

 « Nirodha Parinama ou étape de la suspension, se produit ou non, selon qu’apparaissent ou s’apaisent les conditionnements que nous lègue notre passé » (S III.9). « Calmer les pensées automatiques est relativement facile par la pratique du Yoga, effacer les blessures de l’inconscient demande déjà une certaine transparence de la conscience périphérique pour atteindre ces couches profondes »[167].

« nirodhaparinama est le processus qui est à la base du samyama.  (…) processus de fusion de type alchimique entre le percevant, la perception, et l’objet perçu, mais aussi comme la progressive fusion des trois types de qualité  du mental, les trois phases plus haut précisées qui en constituent la chronologie de base »[168].

 

« En fonction de l’imprégnation que laisse celui-ci [ Nirodha Parinama], le flot du mental s’apaise » (S III.10).

« A mesure qu’elle s’installe, la cessation fait boule de neige. Plus on médite, plus on a envie de méditer. Le silence engendre le silence. Le mental file vers son destin secret, vers sa source »[169].

 

« A ce stade de l’évolution de la conscience, que l’on appelle Samadhi Parinama, ce ne sont encore que des moments d’attention exclusive » (S III.11).

Autre traductoin : « L’apparition et la disparition (déclin progressif) de la conscience de tous les objets et de la fixité du chitta sur un seul objet sont la conséquence de la culmination dans le chitta ».[170]

Autre traduction : « Le changement dit de l’union complète (samadhi parinama) est la disparition des pensées multidirectionnelles et l’émergence de la focalisation du psychisme ». « Après la première transformation de la personnalité en survient une deuxième. Elle est caractérisée par le fait que, de manière naturelle, l’esprit est centré sur une seule chose à la fois afin de l’appréhender sans que cette stabilité ne provienne ni de l’attachement, ni d’une passion excessive ».[171]

 

« Dans la phase d’évolution que l’on appelle Ekagrata Parinama, il y a alternance égale d’activité et d’apaisement de la conscience face à l’objet d’expérience » (S III.12).

Autre traduction : « Là, à nouveau, le changement dit focalisation (ekagrata-parinama) est l’équanimité du psychisme dans la paix mentale comme dans l’activisme »[172].

 

3.3 L’évolution de la conscience donne accès aux Siddhis (les manifestations)

 

3.3.1 Justifications philosophiques et pratiques des manifestations[173]

« Cela explique les modifications intrinsèques qui se manifestent au niveau de la nature profonde et des organes sensoriels » (S III.13). Quand le niveau de conscience se modifie, notre perception du monde par nos organes sensoriels se modifie.

Autre traduction : « On décrit de la même façon les transformations qui affectent le monde physique, par rapport au changements de formes, à la description temporelle de ces changements et à l’état des formes »

« Les manifestations vont se situer dans les perceptions sensorielles tout entières, mais là seulement. Elles donneront une maîtrise mais pas nécessairement une action directe sur la matière ; nous pensons même que Patanjali n’a jamais voulu parler de maîtrise par action sur la matière »[174].

 

« Tout objet se fonde sur l’Etreté, qu’elle soit manifeste ou non » (S III.14).

Autre traduction : « L’essence est ce qui perdure à travers toutes les transformations, révolues, actuelles ou potentielles ».  « La vie spirituelle consiste à maintenir l’attention sur l’essence de la vie, sur la pure conscience, au-delà de toutes les formes qu’elle emprunte. C’est là le secret de tous les siddhis, ou pouvoirs surnaturels ; c’est aussi le secret du plus grand pouvoir, celui ne la réalisation de notre nature véritable. Le maintien de l’attention sur l’essence permet de réaliser que nous sommes l’essence et qu’il n y a que cela »[175].

 

« La diversité des lois naturelles est cause de la diversité dans le changement » (S III.15)

Autre traduction : « La diversité des processus sont la cause des différences dans les conséquences »[176].

Autre traduction : « Une différence de démarche produit une transformation différente »[177].

« On doit pouvoir inférer que les pouvoirs, les manifestations obéissent aux lois naturelles et s’expliquent, mais aussi se développent chez le pratiquant, par un processus naturel »[178].

 

3.3.2 Les manifestations

« Grâce au Samyama, on a la connaissance du passé et du futur » (S III.16). « A ce stade d’évolution de la conscience, on transcende la perception normale du temps, linéaire et limité à notre vie terrestre. (…) Nous avons alors le sentiment d’appartenir à l’univers, à cette conscience-énergie sans commencement ni fin »[179].

«La première manifestation est relative au processus du temps ; mais dans des conditions à bien préciser. On peut méditer sur les trois transformations des processus mentaux (Dharana, dhyana, samadi) ; lorsque le méditant prend pour champ de conscience et pour contenu les types même de transformations deu mental. Il s’agit donc de méditation au second degré, c'est-à-dire d’une observation lucide, naturelle, des processus mêmes qui se passent dans les méditations  et de la connaissance qui naît de ces observations. C’est la conscience qui est observée, sa limite recule, le connaisseur du champ restant lucide, les transformations se font aussi selon le processus naurel de samyama, la lucidité vit la fusion de ces transformations , sur des plans de plus en plus élevés, selon ce qui a été décrit au pada I sur les mécanismes de samadhi. La conscience domine ses transformations dans  le temps, elle acquiert la connaissance passé-futur »[180].

 

« Il y a confusion entre le mot, la chose et l’idée qu’on s’en fait, car on les prend l’un pour l’autre. Grâce au Samyama, on comprend le langage de tous les êtres » (S III.17). Comprendre chacun à partir de se sa propre histoire, de sa subjectivité, et malgré les réactions que provoquent les mots.

« Savoir écouter avec une parfaite attention, celle du samyama, permet de connaître le langage de tout être ; car à ce moment, nous n’écoutons plus nos propres projections mentales mais plutôt cela qui est »[181].

 

« Par la vision claire des imprégnations latentes en nous, on a la connaissance des vies antérieures » (S III.18).

 

« On connaît les pensées des autres » (S III.19).  « Etre suffisamment désencombré de son ego, pour écouter l’autre de l’intérieur, et ses pensées, ses sentiments deviennent évidents »[182]

Autre traduction : « La connaissance de la pensée d’autrui provient du samyama sur les impressions pyschiques ». »Il va de soi que c’est son propre esprit qu’il faut maîtriser avant qu’un jour, au clair avec soi-même, on ait l’intuition , comme un flash, de la pensée que porte en lui l’interlocuteur. En d’autres termes, il faut d’abord se connaître soi-même »[183].

 

« Mais on ne connaît pas le Centre : l’essence de l’être ne peut être l’objet d’investigation » (S III.20).

Autre traduction : « Mais l’origine de cette (pensée d’autrui) (demeure) insaisissable car elle n’est pas un objet (simultanément perceptible) ».

 

«Par le Samyama sur l’apparence formelle du corps, on le rend invisible en supprimant la faculté d’être vu grâce à la dissociation de la lumière qu’il réfléchit de l’œil qui le regarde » (S III.21). ?

« La matière est la conscience manifestée, l’être en déploiement. Or nous informe Patanjali, ce déploiement peut-être bloqué à tout moment par celui qui a fait samyama sur le pouvoir de manifestation de son corps, de sa matière »[184].

 

« Ce qui précède explique que l’on puisse supprimer le son et les autres manifestations corporelles » (S III.22).

 

« Le Karma peut être proche de son terme, ou non. On connaît le moment de la mort grâce au Samyama exercé sur cela ou grâce à l’étude des signes, des présages » (S III.23) ou (S III.22).

 

« Samyama sur la bienveillance et les autres qualités du cœur développe les pouvoirs correspondants » (S III.24). ou (S III.23).

« Par le samyama, nous devenons un avec l’objet contemplé »[185].

 

« Grâce aux pouvoirs du Samyama, le sage est fort comme un éléphant » (S III.25). ou (S III.24).

« En faisant samyama sur la force de l’éléphant , nous devenons la force »[186].

 

« En dirigeant le regard intérieur vers le Centre, on connaît l’invisible, l’inaccessible » (S III.26). ou (S III.25).

 

« Samyama sur le soleil donne la connaissance de l’univers » (S III.27). ou (S III.26).

 

« Samyama sur la lune permet de connaître l’ordre cosmique » (S III.28). ou (S III.27).

 

«Samyama sur l’étoile polaire permet de connaître le cours des planètes » (S III.29). ou (S III.28). 

 

« Samyama sur le chakra du nombril donne la connaissance de la physiologie du corps » (S III.30) ou (S III.29).. Nous sommes un microcosme, à l’image du macrocosme qu’est l’univers.

 

« Par le Samyama sur le fond de la gorge, on supprime la faim et la soif » (S III.31). ou (S III.30).

 

« Sur le kurma Nadi, on obtient la stabilité « (S III.32). ou (S III.31).

« Le samyama sur « le méridien en forme de tortue » ( le diaphragme), dans la cage thoracique apaise les émotions et libère la voie vers les réalisations supérieures »[187].

 

« Sur Sahasrara, on obtient la vision spirituelle des être réalisés » (S III.33). ou (S III.32).

Autre traduction : « En se concentrant sur la luminosité du centre de la tête, … »[188].

 

« Cette omniscience peut exister également grâce à une intuition naturelle » (S III.34). ou (S III.33). Rappel des deux voies que Patanjali développe dans le livre I

Autre traduction : « en se concentrant sur l’intuition tout peut être connu »[189].

 

« Par Samyama sur le cœur, on a la connaissance parfaite du mental » (S III.35). ou (S III.34).

« Le cœur est cette faculté d’abandon total et inconditionnel à l’être ; en faisant samyama sur le cœur, nous connaissons la vraie nature du mental, la pure existence. Le cœur , c’est le secret de l’être, c’est ce qui est le plus intime. La vraie nature du mental est le Soi, la pure existence. Il n’est donc pas recommandé de condamner son mental, encore moins de le torturer, le battre, ou le tuer. Tout ce qu’il y a à faire , c’est tranquillement remonter à son essence, le cœur de l’être »[190].

 

« L’expérience sensible, tournée vers l’extérieur, ne distingue pas l’objet et le sujet, et confond complètement le Purusha et le Sattva. Si on l’oriente vers l’intérieur, grâce à Samyama, on connaît le Soi » (S III.36). ou (S III.35).

 

« De la naissent les facultés subtiles au niveau de l’audition, de la perception, de la vision, du goût et de la sensation » (S III.37) ou (S III.36)..  La connaissance du Soi transforme la sensibilité de nos cinq sens corporels. Ce sutra complète le (S II.43).

 

« Ces perception para-normales sont des obstacles dans la voie du Samadhi quand leurs pouvoirs s’écartent du Centre » (S III.38). ou (S III.37).

 

« Quand on se libère des lois de causalité et qu’on a la connaissance des fonctionnements du mental, la possession d’autrui devient possible » (S III.39). ou (S III.38).

Autre traduction : « Quand l’attachement au corps se relâche et que nous maîtrisons parfaitement les mouvements du mental, celui-ci peut entrer dans un autre corps »[191].

 

« Grâce à la maîtrise de l’Udana, on peut s’élever au-dessus de l’eau, de la boue et des épines, et ne pas en être affecté » (S III.40). ou (S III.39). Le yoga distingue cinq souffles : Prana, Apana, Samana, Udana et Vyana. Udana est un expir dirigé vers le haut ;

«Udana est le mouvement interne de l’ascension spirituelle (la kundalini), la domination de ce type de souffle-énergie amène à une extrême légèreté du corps pouvant, avant même la délivrance de l’âme des applications pratiques »[192].

 

« La maîtrise de Samana provoque le rayonnement du corps » (S III.41) ou (S III.4O).. Samana est le souffle qui active la digestion.

« Samana est le souffle qui unifie, qui fait passer de l’état non-duel où tout est Un , égal, le tantrisme le plus classique fait de ce mot, pris aussi au sens abstrait, le vide si riche d’équanimité qui transcende espace et temps ; Le souffle samana est pris au sens strict – connnaissance inimte d’un dynamisme interne d’un certain type – mais aussi dans le sens de pouvoir d’éveil »[193].

 

« En établissant, grâce au Samyama, une relation entre l’espace et l’ouïe, celle-ci devient surpa-normale » (S III.42). ou (S III.43).

 

« Le Samyama sur la relation entre corps et l’espace et un sentiment d’osmose avec la légèreté (celle du coton, par exemple) permet de se déplacer dans l’espace » (S III.43). ou (S III.42).

 

« Quand on est libre de la sujétion du corps, on dissipe ce qui cache la lumière » (S III.44). ou (S III.43).

 

« On obtient la maîtrise des cinq éléments en faisant Samyama sur le but, la fonction et la relation entre leur apparence grossière, leur forme, et leurs essence subtile » (S III.45). ou (S III.44).

 

« Grâce à cela on acquiert la manifestation de pouvoirs tels que celui de réduire le corps à la dimension d’un atome, de le rendre parfait et incorruptible » (S III.46). ou (S III.45).

 

« Un corps parfait à la beauté, le charme, la vigueur et l’invulnérabilité du diamant » (S III.47). ou (S III.46).

 

« Grâce au Samyama sur leur pouvoir de perception, leur substance propre, le sentiment d’exister qu’ils procurent et la relation entre ces caractéristiques et leur fonction, on obtient la maîtrise des sens » (S III.48). ou (S III.47).

 

« Grâce à cela on peut se déplacer comme la pensée, sans véhicule corporel, et on connaît alors la nature et les sens de l’univers » (S III.49). ou (S III.48).

 

« Connaître seulement la différence entre la guna Sattva et le principe absolu suffit à donner le pouvoir sur toutes les manifestations et la connaissance de toute chose » (S III.50). ou (S III.49). L’état d’unité passe par la discrimination, développée précédemment.

« Cet aphorisme s’inscrit dan la suite de S I.51 et III.35,  Réaliser la différence entre l’Esprit (Purusha) et la lumière cognigive (sattva) , c’est abattre la dernière et la plus subtile barrière sur la voie. Tout est alors connu »[194].

 

 

3.4 Le détachement suprême conduit à la liberté

 

« Se détacher de tous ces pouvoirs mène à la suprême liberté, quand toue semence d’erreur a été détruite ». (S III.51). ou (S III.50).

 

« Il convient d’éviter l’orgueil et l’importance que l’on pourrait accorder à ce que nos donnent ainsi les dieux » (S III.52). ou (S III.51).

 

« Par le Samyama sur le temps et la marche du Temps, on a la connaissance née de la discrimination ». (S III.53). ou (S III.52).

Autre traduction : « En faisant samyama sur les moments et sur leur succession, nous acquérons le plus fin discernement ». « Le temps n’a de sens que s’il y a mouvement, changement. Il doit donc y avoir perception d’une ou plusieurs formes pour qu’on puisse parler de moments. Le moment est donc le moment de perception le  plus raffiné. Une attention soutenue sur les moments et leur succession, c'est-à-dire sur les perceptions successives, permet de distinguer les plus subtiles variations de formes. (..) L’exercice décrit dans ce sutra, révèle la nature discontinue et relative de ce que nous appelons le temps, ou évolution. (..) Quand nous nous absorbons dans l’intervalle entre deux perceptions, nous découvrons le vide interstitiel. Cette découverte est à la fois bouleversante et capitale. Au moment où l’attention est saisie de l’espace vide à la in d’une quelconque perception, mais avant le début de la suivante, que se passe-t-il ? (..) Nous passons le plus clair de notre temps à bondir d’une perception à l’autre et c’est là tout ce qu’enregistre notre mémoire, qui constitue ce que nous appelons pompeusement notre personnalité. Notre vie entière est érigée autour de cette mémoire qui tient pour acquis la continuité et la réalité des impressions, des objets perçus et du sujet limité qui les perçoit. Mais si nous persistons dans le vide interstitiel, l’apparence d’un sujet percevant et de son objet perçu s’effrite de plus en plus. (..) C’est quand nous sommes plus dupes des idées d’objet et de vide, que le grand discernement apparaît. (…) ce sutra remet en question notre compréhension habituelle de la causalité que nous croyons déceler dans la succession des moments ou des transformations. (…) La réalité est intemporelle.. Einstein , avec sa théorie de la relativité restreinte avait remonté la piste ouverte par cet aphorisme ; Le temps est un outil du mental et n’a aucune réalité absolue en lui-même. »

 

« Cette faculté de discrimination permet de connaître deux choses identiques qu’on ne peut pas distinguer par l’observation ordinaire portant sur le caractère distinctif et la localisation » (S III.54). ou (S III.53).

« Au niveau des formes, jamais l’univers n’est le même. On ne peur pas entrer deux fois dans le même fleuve, disait Héraclite. Seul celui qui a acquis le plus fin discernement parvient à discerner ce qui auparavant était confus. Par ce samyama, on parvient à percer la subtilité des transformations les plus subtiles mentionnées en III.13 »[195].

 

« La connaissance née de la discrimination est intemporelle, totale, et induit la délivrance » (S III.55). ou (S III.54).

Autre traduction : « Ce qui est né sans aucune cause, ce qui perçoit tout (toute chose), ce qui perçoit toutes les sortes de modifications sans aucun processus, cela est appelé viekajamjnanam », c'est-à-dire la connaissance issue du discernement[196].

 

« Quand le Guna Sattva est aussi pure que Purusha, le principe absolu, c’est la liberté suprême » (S III. 56). ou (S III.55).

« Quand la lumière de l’intellect devient aussi pure (non identifiée) que l’Esprit lui-même, alors nous savons que l’un est l’autre. (..) c’est ce que Patanjali nomme l’isolement[197] (kaivalya)  , ce qui signifie que plus rien ne vient voiler la vérité de l’Unique. C’est cela la libération absolue, qui n’est rien d’autre que la cessation parfaite (nirodha) du sutra I.2 »[198].

 

 

4. Le quatrième chapitre ou Kaïvalya Pada, reprend les thèmes déjà exposés pour les approfondir ("Le Pas vers l'indépendance absolue"[199])

 

« Les pouvoirs sont innés, ou engendrés par l’utilisation des plantes, de mantras, ou par la pratique du Yoga et du Samadhi » (S IV.1). Sutra de transition. On ne pratique pas pour obtenir la puissance, mais pour s’affranchir de l’insatisfaction de la condition humaine,[200]

« Les pouvoirs ou siddhis, décrits au dernier chapitre peuvent être acquis autrement que par le samyama, c'est-à-dire par le samadhi. Par exemple, si nous possédions certains pouvoirs dans la dernière incarnation, nous les retrouverons généralement sans avoir  rien de spécial à faire dans cette incarnation-ci »[201].

 

 

4.1 La loi de la cause à effet ; Le Karma ou la dualité

Qu’est ce que le psychisme humain ?

 

« La renaissance dans une forme d’existence différente est une modification due à l’exubérance des forces de la Nature » (S IV.2)

« Chaque forme de vie ainsi que chaque être humain comprend une entité physique qui porte en elle-même un programme d’évolution, d’élévation. En bref, l’évolution est un phénomène naturel. Si rien ne retient l’eau, elle s’écoule naturellement, irrigue le champ et nourrit la plante. Cette eau spirituelle, source du baptême de la vie mystique, existe en nous (…) Avoir conscience des possibilités contenues en soi, responsabilise et renforce la confiance dans ses capacités »[202].

 

« Comme le paysan rompt la digue qui empêche l’eau de s’écouler sur ses terres, l’élimination des obstacles est à l’origine de toute transformation » (S IV.3). « Le volontarisme est inutile, le lâcher-prise essentiel. Mais on ne peut lâcher que ce que l’on a. De même que la digue a joué son rôle, de même construire son ego est une étape nécessaire dans le processus de transformation. En calmant l’agitation du mental, en éliminant les imprégnations énergétiques qui nous encombrent, on permet à l’énergie de vie de circuler en nous, librement, comme l’eau de la rivière »[203].

« Cela qui sauve est complètement différent de notre concept de messie, qui est toujours perçu comme un Dieu extérieur à nous. C’est notre propre Soi véritable qui est en œuvre en nous, par nous et pour nous ».[204]

« Lorsque l’on aide l’autre, on ne lui apporte rien qu’il n’avait déjà, mais on lui permet de trouver les moyens pour résoudre les problèmes liés à sa personnalité. On ne peut pas ouvrir n’importe quelle digue, n’importe quand et n’importe comment »[205].

 

« Les différents états de conscience ne sont rien d’autre que création de l’ego » (S IV.4). « Nos changements intérieurs sont liés à l’émotionnel, à l’imaginaire, aux mémoires du passé, à tout ce qui concerne l’ego »[206].

Autre traduction : « Tout mental n’est que la création de l’ego ». « Le mental est une créature de l’ego, c'est-à-dire du sentiment d’être une entité séparée du Tout. Ce que Patanjali nomme mental (citta) est en réalité la collection des impressions accumulées depuis toujours et qui dictent nos préférences, et nos aversions. (..) . Il explique que le mental existe, mais que sa réalité est créée de toutes pièces par le sentiment d’identité, qui relève de l’errance. Tout cela est le jeu de l’être. La réalité ultime, donc la seule réalité, est le Soi, l’être »[207].

Autre traduction : « Les psychismes (ou évolution de la conscience individuelle) sont créés seulement à partir d’une conscience individuelle ». La conscience individuelle  « ne peut se développer qu’au contact d'une autre conscience individuelle rayonnante. Ce mode de croissance est illustré aussi bien par l’identification des jeunes aux idoles du monde du spectacle, du sport, etc., que par l’influence des grands maîtres spirituels transcendant l’espace et le temps »[208].

 

« Dans ces modifications de l’activité mentale, un seul état de conscience en entraîne d’innombrables » (S IV.5)  « Réactions en chaîne à partir d’une émotion, d’une idée, d’une croyance » [209].

Autre traduction : « Un psychisme en influence de nombreux autres, dans des manifestations séparées ». « Plus un individu est calme, lucide et riche, plus nombreuses seront les personnes influencées (..) Pour une même image, une même parole, perçue et entendue simultanément par une multitude d’individus, les résultats seront différents »[210].

Autre traduction : «Bien que chaque mental agisse différemment, tous agissent sous l’impulsion du champ mental unique ». « Cet aphorisme précise davantage ce que l’on veut dire par « mental ». Il s’agit en fait d’un concept pour décrire une suite d’actions, de réactions, d’impressions, d’émotions, de pensées et de sensations données, qui n’ont de lien entre elles que le sentiment d’être ressenties par une identité particulière qui se désigne elle-même par le vocable « je » ? mais qui ne possède en fait aucune existence réelle. Le champ dans lequel se déroule tout cela s’appelle le champ mental. (…) Nous devrions jamais nous désoler de nos réactions mentales décevantes, car c’est le champ mental qui se manifeste ainsi et non une personne en particulier »[211].

 

« L’état de conscience qui naît de la méditation est libre de constructions mentales » (S IV.6)

« Toute autre procédure ( y compris l’usage des drogues, la répétition des mantras et l’ascèse, cités en 1V.1) laisse l’errance intacte. (…) La pratique de la méditation est essentielle pour se libérer de l’errance»[212]. Pour se libérer du cycle des désirs, des imprégnations ou des impressions passées.  

Autre traduction : « Là, ce qui surgit de la méditation n’a aucune influence négative »[213].

 

« Le Karma (l’action)  du Yogi n’est ni blanc ni noir, celui des autres est mélangé » (S IV.7)

« L’être illuminé est celui qui s’est libéré du cycle du désir. Ses actes ne sont ni bons ni mauvais, car il n’y a plus personne pour en revendiquer la paternité »[214].

« Du fait qu’il s’intéressent à la vérité ou à la connaissance en toute pensée et action, les Yogis sont au-delà des mérites et démérites des actions »[215].

Autre traduction : « L’action du yogi n’est ni noire (porteuse de souffrance) ni lumineuse (porteuse de plaisir et de dépendance), l’action des autres est triple ». « Le véritable yogi qui est en méditation (IV.6) a une action juste, non engendrée par les tendances négatives de sa personnalité. Les actions des yogis qui n’ont pas atteint véritablement l’état de yoga, produiront chez les autres les trois influences suivantes : la souffrance, le plaisir qui crée la dépendance, une combinaison des deux »[216].

 

« Car nos sommes influencés par nos souvenirs subconscients liés à des imprégnations antérieures » (S IV.8) « Nous sommes en partie déterminés par notre passé et nous préparons l’avenir »[217].

Autre traduction : « Les seuls désirs qui se manifestent sont ceux dont la réalisation portera à maturité les tendances mentales résiduelles ». « Le désir est l’actualisation, ou l’activation des impressions mentales accumulées »[218]. Impressions mentales : vasanas.

« Cet aphorisme décrit ce qui se produit chez un yogi appartenant à l’un des trois types d’actions présentés à l’aphorisme précédent. Le mot vasana, pour désigner ces latences est synonyme du mot samskara rencontré précédemment. Cependant vasana désigne davantage l’inné et samskara l’acquis. Mais ici il représente l’ensemble des tendances innées et acquises »[219].

 

« Les impressions latentes (samskara) et la mémoire (smriti) ont un fonctionnement similaire, même si elles s’expriment différemment selon le lieu et le moment » (S IV.9). Elles fonctionnent toutes deux sur des automatismes[220].

« Il existe un lien très fort entre les imprégnations mentales et la mémoire. De ce fait, notre pensée se présente comme un ensemble cohérent. (..) Nos comportements sont ainsi induits par notre mémoire et nos imprégnations psychiques avant que nous en ayons conscience »[221].

 

« Il n’y a pas de commencement à leur existence car leur besoin de se manifester est là, depuis toujours » (S IV.10)

« Les tendances résiduelles peuvent se manifester très longtemps après leur enregistrement initial, y compris au cours d’incarnations ultérieures »[222].

Autre traduction : « Et du fait du caractère éternel du désir de vie, ces imprégnations mentales sont sans origine ». Le désir de vie, l’instinct de vie (asisa) est présent dans tous les règnes, tel l’arbre attiré par la lumière. Il engendre toute motivation basée sur un espoir d’un bénéfice. (..) Puisque ce désir est éternel, il ne faut pas réjouir trop vite de l’avoir dépassée. Il reste latent »[223].

« Il n'y a ni commencement à trouver, ni, à fortiori, à chercher ».[224]

 

« Parce qu’elles sont liées à la cause et à l’effet du terrain qui les nourrit, quand ces dernières disparaissent, les latences disparaissent également » (S IV.11 ) « Si le mental se calme, si son agitation ne voile plus ce qui, en nous, peut accéder à la vision de la réalité, alors ces latences, qui prennent racines dans nos désirs et dans notre aveuglement disparaissent »[225].

« L’errance consiste à croire que les objets, les personnes, les expériences et les émotions vont un jour nous procurer la joie absolue ».[226]

 

« Le temps existe en raison de sa nature propre, en relation avec la différence des chemins et de leurs caractéristiques » (S IV.12)

Autre traduction : « Le passé et le future demeurent en force naturelle à cause de la différences des Dharmas par le temps »[227].

« Le passé est présent en nous, par les sentiments qu’il y a créés. Le futur l’est par nos potentialités et nos espoirs. L’essentiel est de vivre au présent tout en nous rappelant que ce n’est pas parce que quelque chose n’est pas manifesté qu’il n’existe pas car tout change »[228].

C’est le développement même de la Prakrti qui prenant des sentiers différents, créée le samskara passé-futur[229].

 

« Ces phénomènes, manifestés ou subtils, sont de la nature des Gunas » (S IV.13) Et donc de la manifestation de la Prakriti.

« Le même mot , la même phrase feront resurgir chez le lecteur un fait passé ou le conduiront vers des réalités nouvelles selon ses tendances dominantes (sattva, tamas, rajas (…) ; Cette notion des qualités constitutives de la nature est délicate sinon impossible à comprendre. Celui qui croit l’avoir comprise n’a certes, rien compris, car il cherche à  saisir la nature intrinsèque de son instrument de perception en se servant de celui-ci » [230].

 

3.2 De la dualité à l’unité

 

« Toute chose porte en soi le principe unique, en raison de l’unicité du changement » (S IV.14)

« La réalité d’un objet n’est qu’un état spécifique de son changement continuel. Toute perception est une étape provisoire et instantanée ; elle est réelle mais réduite par rapport à l’univers en perpétuelle transformation. En bref, les trois qualités constitutives de la nature se manifestent sous forme de perceptions reçues par un instrument qui, constitué lui-même par ces trois qualités, est influencé par la perception de l’objet »[231].

« Comment concilier l’essence de l’objet, et les perceptions différentes, soit successives par les mentals successifs d’un même connaisseur, soit par la connaissance de deux connaisseurs différents ? »[232].

 

« Deux choses étant semblables, c’est à cause des différents états de conscience qu’on les perçoit différemment » (S IV.15) « La réalité est une, mais nous la vivons dans la dualité »[233].

« Une observation est toujours le résultat de l’interaction de l’observateur avec l’objet. (…) Voila qui rejoint bien la physique quantique »[234].

« L’intérêt du mental pour un objet colorera la perception de cet objet qui sera alors rarement objective. Ainsi un monument est un gagne-pain pour le gardien, une curiosité pour le touriste, un témoin du passé pour l’historien, un modèle pour l’architecte, ;; »[235].

 

« Un objet n’est pas à l’œuvre du seul mental. Si c’était le cas, que deviendrait-il quand il n’est pas perçu » (S IV.16). Traces de polémiques, pour le Védanta le monde est illusoire[236]. Il en est de même pour le boudhisme.

« Perçus ou non les objets sont réels.(…) Cette affirmation détermine l’attitude d’un représentant du yoga face au monde et sa manière d’aborder un problème comme de le résoudre. Quelle que soit la difficulté exposée par un individu , qu’elle que soit ou non le fruit de l’imagination, le yoga le reconnaît comme réelle. Cela permet l’écoute de l’autre au niveau de ses difficultés »[237].

 

« Un objet est perçu ou non, selon que sa coloration répond à l’intérêt que manifeste le mental » (S IV.17). « Notre vision des choses est fragmentaire et sélective car elle répond à nos centres d’intérêt, d’où notre vision subjective du monde. A l’inverse, être en relation avec la conscience profonde, « c’est être conscient de tout à chaque instant », définition que donnait Krishnamurti de la méditation »[238].

« Cet aphorisme traite essentiellement de la relation humaine. Un objet est perçu à deux conditions : la première est l’attraction qu’il exerce sur l’observateur, la seconde est la volonté de l’observateur d’investir plus ou moins dans la relation. »[239].

 

« L’agitation du mental (chitta) est toujours perçue par la conscience profonde, toute-puissante, en raison de son immuabilité » (S IV.18). C’est en développant l’attitude d’observateur qu’on peut atteindre la conscience profonde.

«La connaissance et la non-connaissance des objets par le chitta dépendent de son contact avec les objets. Ainsi le chitta est-il soumis au changement en différents états de connaissance et non-connaissance.  Le Purusha reste toujours comme un témoin des événements du chitta »[240].

« Cet aphorisme affirme qu’il existe autre chose que le psychisme (chitta). Si notre mental semble percevoir, ce n’est pas lui qui perçoit mais le principe de conscience. Quelque soit notre degré de lucidité ou de complaisance sur nous même, un témoin nous habite, rien ne lui échappe, l’ensemble de notre vie devrai être consacré à permettre sa manifestation. Il est un point de référence immuable, permanent, éternel, source de la perception des changements ».[241]

 

« Le mental n’a pas d’éclat en soi puisqu’il est objet de perception » (S IV.19)

« Les sens perçoivent l’objet, mais l’objet ne peut se percevoir lui-même. Le mental perçoit les sens ; ils ne peuvent se percevoir eux-mêmes. Pareillement le chitta est perçu par le Purusha, le Soi. Aussi le Chitta ne peut pas se connaître lui-même. Le soi n’est perçu par personne, il est donc lumineux en lui-même. Le Soi ne peut être connu que par le Soi. Il se révélera à lui-même»[242].

Autre traduction : « Parce qu’il doit être perçu, le psychisme n’a pas lui-même le (pouvoir) de perception » « Notre psychisme n’a pas de lumière propre. La source de la lumière ou de la conscience n’a pas son origine dans le psychisme. (..) si la conscience venait du mental lui-même comment serait-il possible d’être conscient de ces états : je suis faché, j’ai peur, j’aime cela ?; Peut on être à la fois acteur et spectateur ? »[243].

 

« Et il n’y a pas connaissance des deux à la fois. Le mental n’étant pas conscience, ne peut se connaître alors qu’il est tourné vers la perception extérieure » (S IV.20)

Autre traduction :  « Le mental ne peut pas être à la fois conscient de l’objet et de lui-même »

« L’esprit ne peut pas à la fois véhiculer des images et s’observer les véhiculant »[244].

Les possibilités du mental sont limitées (cela s’applique à citta, concept typiquement patanjalien, mais aussi au manas et à la buddhi du classique Samkhya)[245].

 

« Si le mental pouvait être connu par une autre intelligence plus subtile (buddhi), cela créerait un excès de consciences mentales et une confusion de leurs mémoires ». (S IV.21). « Le Buddhi, intelligence plus subtile, affinée, fait encore partie de la matière. Seule la conscience profonde est sujet de connaissance, seul témoin silencieux de la réalité »[246].

« La source de perception est donc indépendante de l’instrument de perception et de l’objet perçu »[247].

 

« Le mental a une connaissance parfaite de sa propre intelligence quand il ne passe pas d’un objet à l’autre et qu’il rejoint la forme de la conscience profonde » (S IV.22) « Quand le mental est apaisé, il devient transparent et l’êtreté se révèle »[248].

Autre traduction : « En s’identifiant avec sa propre réflexion dans le chitta, l’immuable (Chitti)-le Soi sans événements, acquiert la connaissance du Chitta et de l’objet perçu par le Chitta ». « Le Soi (le Purusha) se réfléchit dans le Chitta, c’est pourquoi le chitta ressent « je suis » . cette réflexion est la cause  du sens du « je », qui est la cause de l’ego et de toutes autres activités et modifications du chitta  ».[249].

« Au-delà de la perception des objets extérieurs, il a perception de la forme de sa propre conscience. Cette expérience spirituelle, dans laquelle le monde extérieur a perdu tout intérêt au bénéfice de l’intériorité , est immuable, et intransmissible »[250].

 

« Le mental (chitta) coloré par le Soi (Drashtar) devient conscience totale » (S IV.23) On retrouve l’image du diamant du premier chapitre.

Autre traduction : « Coloré par le voyant et les objets, le Chitta assume la nature des choses »[251].

« Patanjali présente ici le psychisme comme différent du principe de conscience origine de la perception et de l’objet perçu. Il précise qu’il peut entrer en relation avec l’un et l’autre (…) Le psychisme est donc indispensable, y compris pour percevoir l’origine de la conscience »[252].

 

« Le mental, bien qu’il soit coloré par d’innombrables imprégnations (vasanas) dépend du Soi, auquel il est associé dans son activité » (S IV.24)

« Le psychisme (le mental) n’existe pas pour lui-même, il est au service du principe de conscience. Cette expérience est l’histoire de toute une vie ; l’enfant s’éveille au monde extérieur, un jour apparaît une insatisfaction puis la recherche d’une dimension intérieure. (…) L’univers perçu et le psychisme dont il fait partie sont nécessaires pour se libérer d’eux-mêmes et être dépassés. Malgré sa place importante due à la multitude de ses latences et de leur variété, le psychisme ne doit pas diriger l’association (avec le principe de conscience). ».[253]

 

« Pour celui qui est capable de discrimination (vishésha), cessent les doutes et les interrogations sur l’existence et la nature du Soi » (S IV.25)

« Tout questionnement disparaît et aussi toute parole inutile : le yogi devient silencieux »[254].

 

« Alors en vérité, le mental orienté vers la discrimination est porté vers le détachement de tous les liens » (S IV.26)

Autre traduction : « Alors le psychisme est immergé dans le discernement et orienté vers la liberté absolue ». « discernement : aptitude à faire les bons choix au bon moment dans l’existence. (..) La sagesse doit se traduire dans les faits concrets. Le discernement doit être prouvé dans la vie active. Il est la force qui entraîne vers la sérénité. (…) La sérénité qui en résulte est un état de paix intérieure perçue comme un retrait face aux tourbillons de la vie. En résumé, nous devons accepter la réalité, y vivre, mais sans nous y perdre »[255].

 

« En raison des impressions latentes (samskara), des pensées parasites ont accès à la conscience » (S IV.27) « Elles peuvent nuire au discernement »[256].

Autre traduction : « Toute autre pensée qui se glisse alors dans le mental n’est que le résultat des impressions résiduelles »[257]

«  Personne ne peut prétendre avoir dépassé définitivement ses difficultés.  (…) Des expériences intérieures anciennes peuvent resurgir : paroles, comportements jugeant les autres, pensées égocentriques telles que mon, mien, ou je connais »[258].

 

« Celles-ci disparaissent de la même façon que les causes de la souffrance » (S IV.28)

 

« Le Samadhi Dharma-Mégha est possible si on est désintéressé dans la pratique du discernement sous tous ses aspects, même dans la méditation à son plus haut niveau » (S IV.29)

 

« Grâce à cette forme de Samadhi, cessent les causes de souffrance, et le Karma », (S IV.30)

« Les actions ne cessent pas, mais aucune d’entre elles ne naît des attitudes négatives décrites en II.3. : la méconnaissance, la conscience du je, la passion, la répulsion, la peur ».[259]

 

« Alors en regard de l’immensité de la connaissance libre de tout obscurité et de toute impureté, le domaine du savoir est insignifiant » (S IV.31)

 

« Et le processus de transformation des Gunas arrive à sont terme, leur raison d’être ayant été réalisée » (S IV.32)

 

« Ce processus de changement, qui se fait d’instant en instant, devient perceptible quand il s’achève » (S IV.33)

 

« La ré-absorption des Gunas, privées de leur raison d’être, par rapport au Purusha, marque l’état d’isolement de la conscience dans sa forme originelle » (S IV.34).

autre traduction : « La liberté absolue est l’absence de production des qualités constitutives de la nature devenues vides d’objet pour le principe de conscience (remplacée par la félicité) ou bien l’établissement en elle-même de la (suprême) puissance de la Conscience »[260].

 

 

Conclusion

 

« Les aphorismes ou sutras, sont le fruit de l’expérience directe et non un amoncellement de spéculations intellectuelles ; c’est pourquoi la philosophie de Patanjali demeure pratique. Quiconque la met à l’essai peut en vérifier l’exactitude. La réalisation spirituelle, rien de moins, constitue l’objet des sutras. Or seule cette réalisation peut libérer l’homme de toute peur, de souffrance, de violence, de doute. Le chemin pratique ouvert par Patanjali nous sort enfin du monde étriqué de la question et de la réponse. Aucune réponse ne nous a jamais satisfaits. Cela démontre que nous recherchons quelque chose de bien plus vivant et de plus puissant qu’une réponse. La pratique spirituelle mise en avant dans ces sutras fournit exactement ce qui manque à la tradition occidentale, d’où son immense intérêt »[261]. ; « Les Grecs du temps d’Héraclite et de Socrate, les Hébreux du temps de Jésus, et les penseurs maladroits du XXème siècle ont tous en commun qu’ils n’ont pas su apprécier à leur juste valeur la parole qui leur était adressée. La parole ne s’interprète pas, elle se savoure et se médite»[262]

 

Les Sutras, formes de courtes maximes ou aphorismes, utilisent souvent l’aporie qui est une forme de contradiction insurmontable par le raisonnement. « L’aporie permet l’abandon à Dieu, dont Patanjali parle en maints endroits de son recueil et qui demeure l’étape capitale de toute démarche spirituelle ; c’est le saut nécessaire avant d’être touché par l’éclaircissante grâce. La pensée doit d’abord s’étonner, être stupéfaite, avant de lâcher prise et de « naître à nouveau », comme l’expliquait Jésus à Nicodème. (..) La communication fructueuse établit un espace de recueillement, où la lumière fait son œuvre ; tout doit être subordonné à cela, du moins tant que l’on vise à un « entretient réussi ». Or, nous sommes tous venus sur terre pour participer à un entretien réussi…. L’entretien, c’est ce qui « se tient entre », c’est cela qui est, c’est cela qui se tient entre les personnes, entre les mots, entre les pensées. C’est l’espace pur et infini, que l’on peut nommer présence. Nous sommes venus réaliser que nous sommes cette présence et qu’il n’y a que cela »[263]

 

« Mêmes s’ils nous viennent de l’Inde, ces sutras ne font jamais référence aux déités  ou aux rites et croyances de cette contrée. Tant dans leur essence, que dans leur langage, ils demeurent universels et ils rentrent en résonance partout dans le  cœur des hommes de bonne volonté »[264] Ces sutras font néanmoins appels à certains concepts propres à la pensée philosophique et religieuse indienne, tels que Purusha, Prakriti, les Gunas.

 

« Tout au long de la montée vers l’être décrite par Patanjali, il se dégage une atmosphère réaliste, sereine, et même joyeuse. (..) La tristesse, la morosité, la culpabilité, les remords, les pleurs et les grincements de dents, la maladie, la pauvreté, la misère, la mort, la peur et la souffrance ne nous font aucunement progresser vers la réalisation spirituelle. (…) Nous sommes tous fondamentalement divins et le propre du Divin est la joie parfaite. Celui qui connaît sa nature véritable sait compatir avec l’humanité souffrante mieux que quiconque, puisqu’il est un avec la vie : mais il n’est jamais « ému », au sens originel du mot, c'est-à-dire amené hors de lui-même au point d’oublier la réalité de tout être, qui, elle, ne souffre jamais. C’est même justement parce qu’’il ne l’oublie jamais qu’il est en mesure d’aider efficacement celui qui a oublié et souffre ".

Voir aussi le site :   http://https://shivayoga.fr/les-yoga-sutra-de-patanjali/

 

[1] Aphorisme : courte maxime

[2] Françoise Mazet, Yoga-Sutras de Patanjali, Albin Michel, Collection Spiritualités, Paris, 1991, p.9

[3] Françoise Mazet, Yoga-Sutras de Patanjali, Albin Michel, Collection Spiritualités, Paris, 1991

[4] Jean Bouchart d’Orval, Patanjali, La maturité de la joie, Les Editions du Relié, Gordes 1998

[5] Swâmi Sadânanda , Les Yoga-sutras de Patanjali, Le Courrier du Livre, Paris, 1976

[6] Bernard Bouanchaud, Yoga-sutra de Patanjali, Miroir de Soi, Editions Agamat, Palaiseau 2003

[7] Yves Durand D’Aragon, La Lumière sur le Yoga Royal, Le Courrier du Livre, Paris 1997

[8] En sanskrit, pada signifie chapitre

[9] traduction proposée par Yves Durand d’Arangon

[10] B. Bouanchaud, op. cit. p.21

[11] T.K.V. Desikachar, Yoga-Sutra de Patanjali, Editions du Rocher, Monaco 1986, p.14

[12] B. Bouanchaud, op. cit. p.22

[13] Swâmi Sadânanda , Les Yogasutras de Patanjali, Le Courrier du Livre, Paris, 1976, p.34

[14] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.35

[15] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.20

[16] Swâmi Sadânanda,op. cit. P. 39

[17] Swâmi Sadânanda,op. cit. p. 40

[18] Swâmi Sadânanda,op. cit. p. 43

[19] B. Bouanchaud, op. cit. p. 30

[20] B. Bouanchaud, op. cit. p.31

[21] B. Bouanchaud, op. cit. p.33

[22] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.46

[23] F. Mazet, op. cit., p.29

[24] F. Mazet, op. cit. p.32

[25] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.49

[26] B. Bouanchaud, op. cit. p.38

[27] F. Mazet, op. cit. p. 33

[28] B. Bouanchaud, op. cit. p.42

[29] F. Mazet, op. cit. p. 35

[30] B. Bouanchaud, op. cit. p.44

[31] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.47

[32] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.48

[33] B. Bouanchaud, op. cit. p.46

[34] F. Mazet, op. cit. p. 39

[35] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.49

[36] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.60

[37] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.62

[38] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.63

[39] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.81

[40] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.65

[41] B. Bouanchaud, op. cit. p. 60

[42] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.84

[43] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.85

[44] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.86

[45] F. Mazet, op. cit. p.47

[46] B. Bouanchaud, op. cit. p. 67

[47] F. Mazet, op. cit. p. 49

[48] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.89

[49] B. Bouanchaud, op. cit. p. 70

[50] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.90

[51] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.91

[52] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.78

[53] F. Mazet, op. cit. p.53

[54] F. Mazet, op. cit. p.54

[55] F. Mazet, op. cit. p.56

[56] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.97

[57] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.97

[58] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.82

[59] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.99

[60] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.101

[61] B. Bouanchaud, op. cit. p. 81

[62] B. Bouanchaud, op. cit. p. 82

[63] B. Bouanchaud, op. cit. p. 83

[64] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.106

[65] B. Bouanchaud, op. cit. p. 86

[66] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.53

[67] B. Bouanchaud, op. cit. p. 87

[68] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.92

[69] F. Mazet, op. cit. p.68

[70] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.113

[71] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.56

[72] F. Mazet, op. cit. p.69

[73] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.58

[74] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.63

[75] F. Mazet, op. cit. p.70

[76] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.63

[77] F. Mazet, op. cit. p.71

[78] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.95

[79] F. Mazet, op. cit. p. 73

[80] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.97

[81] B. Bouanchaud, op. cit. p. 100

[82] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.120

[83] B. Bouanchaud, op. cit. p. 102

[84] F. Mazet, op. cit. p.74

[85] B. Bouanchaud, op. cit. p. 103

[86] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.122

[87] B. Bouanchaud, op. cit. p. 104

[88] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.64

[89] F. Mazet, op. cit. p.78

[90] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.125

[91] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.126

[92] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.127

[93] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.128

[94] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.107

[95] F. Mazet, op. cit. p.83

[96] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.129

[97] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.65

[98] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.131

[99] B. Bouanchaud, op. cit. p. 112

[100] F. Mazet, op. cit. p.84

[101] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.109

[102] B. Bouanchaud, op. cit. p. 113

[103] B. Bouanchaud, op. cit. p. 116

[104] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.114

[105] B. Bouanchaud, op. cit. p. 117

[106] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.136

[107] B. Bouanchaud, op. cit. p. 118

[108] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.137

[109] B. Bouanchaud, op. cit. p. 119

[110] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.139

[111] B. Bouanchaud, op. cit. p. 120

[112] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.140

[113] B. Bouanchaud, op. cit. p. 121

[114]  F. Mazet, op. cit. p.91

[115] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.142

[116] B. Bouanchaud, op. cit. p. 123

[117] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.147

[118] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.149

[119] F. Mazet, op. cit. p.99

[120] B. Bouanchaud, op. cit. p. 134

[121] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.153

[122] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.154

[123] F. Mazet, op. cit. p.104

[124] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.156

[125] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.157

[126] B. Bouanchaud, op. cit. p. 141

[127] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.158

[128] F. Mazet, op. cit. p.107

[129] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.159

[130] F. Mazet, op. cit. p. 108

[131] B. Bouanchaud, op. cit. p. 145

[132] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.139

[133] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.162

[134] B. Bouanchaud, op. cit. p. 146

[135] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.164

[136] B. Bouanchaud, op. cit. p. 148

[137] F. Mazet, op. cit. p.110

[138] B. Bouanchaud, op. cit. p. 150

[139] F. Mazet, op. cit. p. 111

[140] B. Bouanchaud, op. cit. p. 152

[141] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.168

[142] B. Bouanchaud, op. cit. p. 153

[143] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.170

[144] B. Bouanchaud, op. cit. p. 156

[145] B. Bouanchaud, op. cit. p. 157

[146] B. Bouanchaud, op. cit. p. 158

[147] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.148

[148] B. Bouanchaud, op. cit. p. 159

[149] B. Bouanchaud, op. cit. p. 160

[150] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.173

[151] B. Bouanchaud, op. cit. p. 162

[152] B. Bouanchaud, op. cit. p. 164

[153] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.176

[154] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.153

[155] F. Mazet, op. cit. p.122

[156] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.177

[157] B. Bouanchaud, op. cit. p. 166

[158] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.178

[159] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.154

[160] B. Bouanchaud, op. cit. p. 167

[161] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.156

[162] F. Mazet, op. cit. p.125

[163] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.179

[164] B. Bouanchaud, op. cit. p. 170

[165] F. Mazet, op. cit. p.127

[166] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.180

[167] F. Mazet, op. cit. p. 129

[168] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.70

[169] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.183

[170] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.161

[171] B. Bouanchaud, op. cit. p. 177

[172] B. Bouanchaud, op. cit. p. 178

[173] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.71

[174] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.71

[175] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.187

[176] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.164

[177] B. Bouanchaud, op. cit. p. 182

[178] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.72

[179] F. Mazet, op. cit. p. 135

[180] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.73

[181] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.191

[182] F. Mazet, op. cit. p.138

[183] B. Bouanchaud, op. cit. p. 188

[184] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.194

[185] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.196

[186] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.197

[187] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.200

[188] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.175

[189] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.176

[190] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.203

[191] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.206

[192] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.82

[193] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.82

[194] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.215

[195] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.221

[196] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.193

[197] Swâmi Sadânanda parle d’esseulement (aloneness)

[198] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.223

[199] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.86

[200]  F. Mazet, op. cit., p.169

[201] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.225

[202] B. Bouanchaud, op. cit. p. 238

[203] F. Mazet, op. cit. p.171

[204] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.228

[205] B. Bouanchaud, op. cit. p. 239

[206] F. Mazet, op. cit. p.172

[207] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.229

[208] B. Bouanchaud, op. cit. p. 240

[209] F. Mazet, op. cit. p. 173

[210] B. Bouanchaud, op. cit. p. 241

[211] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.230

[212] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.231

[213] B. Bouanchaud, op. cit. p. 242

[214] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.232

[215] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.201

[216] B. Bouanchaud, op. cit. p. 243

[217] F. Mazet, op. cit. p.176

[218] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.233

[219] B. Bouanchaud, op. cit. p. 244

[220] F. Mazet, op. cit. p.177

[221] B. Bouanchaud, op. cit. p. 245

[222] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.234

[223] B. Bouanchaud, op. cit. p. 246

[224] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.90

[225] F. Mazet, op. cit. p. 179

[226] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.237

[227] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.204

[228] B. Bouanchaud, op. cit. p. 249

[229] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.91

[230] B. Bouanchaud, op. cit. p. 250

[231] B. Bouanchaud, op. cit. p. 251

[232] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.91

[233] F. Mazet, op. cit. p.183

[234] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.240

[235] B. Bouanchaud, op. cit. p. 252

[236] F. Mazet, op. cit. p.184

[237] B. Bouanchaud, op. cit. p. 253

[238] F. Mazet, op. cit. p.185

[239] B. Bouanchaud, op. cit. p. 254

[240] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.212

[241] B. Bouanchaud, op. cit. p. 256

[242] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.213

[243] B. Bouanchaud, op. cit. p. 258

[244] B. Bouanchaud, op. cit. p. 259

[245] Yves Durand D’Aragon, op. cit. p.92

[246] F. Mazet, op. cit. p. 188

[247] B. Bouanchaud, op. cit. p. 260

[248] F. Mazet, op. cit. p.189

[249] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.215

[250] B. Bouanchaud, op. cit. p. 261

[251] Swâmi Sadânanda,op. cit. p.216

[252] B. Bouanchaud, op. cit. p. 262

[253] B. Bouanchaud, op. cit. p. 263

[254] B. Bouanchaud, op. cit. p. 264

[255] B. Bouanchaud, op. cit. p. 265

[256] F. Mazet, op. cit. p. 191

[257] J. Bouchart d’Orval, op. cit, p.251

[258] B. Bouanchaud, op. cit. p. 266

[259] B. Bouanchaud, op. cit. p. 269

[260] B. Bouanchaud, op. cit. p. 274

[261] Jean Bouchart d’Orval, op. cit. p. 15

[262] Jean Bouchart d’Orval, op. cit. p. 21

[263] Jean Bouchart d’Orval, op. cit. p. 22

[264] Jean Bouchart d’Orval, op. cit. p. 18