Pour une spiritualité laïque
Le thème de la laïcité interroge de nouveau la société française ; ceci est à imputer notamment au fait que l’islam est devenu la deuxième religion de France et à la volonté de certains jeunes issus de l’immigration, à la recherche d’une référence identitaire, de revendiquer publiquement leur appartenance religieuse. Cette question de la laïcité est revenue avec plus de force encore après les attentats à Charlie Hebdo et à l’Hyper Carcher de la porte de Vincennes et les grands rassemblements républicains et notamment celui la Place de la République que ces attentats ont provoqués. Dans le renouveau des débats actuels sur la laïcité une place particulière devrait être accordée au livre « Place de la République, pour une spiritualité laïque » du rappeur Abd Al Malik publié en février 2015 par Indigène Editions qui ont aussi publié Indignez-vous de Stéphane Hessel.
Après avoir brièvement rappelé sa propre histoire dans une banlieue ghetto, Abd Al Malik ayant le projet de traiter du thème de la laïcité est amené à s’interroger, à partir de sa propre expérience, sur ce qui constitue, ce qui définit la République.
La République : Liberté, Egalité, Fraternité ?
Dans ce petit livre (27 pages) Abd Al Malik nous rappelle en quelques lignes ce que fut son enfance : « dans ma cité , le Neuhof à Strasbourg, j’ai vu mourir des potes d’overdose, du sida ou être assassinés lors d’altercations, et même de bavure policière en plein jour, au coin d’un immeuble, ou de nuit , dans une cave sordide. J’ai vue des frères entrer dans la spirale de la délinquance. J’ai vu des sœurs se prostituer pour un quart de dose d’héroïne. J’ai vu des cousins finir dealers de shit ou de cocaïne, parce que personne ne voulait leur donner un emploi ». Il a partagé la vie et le sort des «jeunes Français musulmans, ces colonisés des banlieues », et dont la rue sert de lieu de rassemblement : « On marche dans les rues de la cité où l’on roule sans casque à moto. (..) On marche sous les regards admiratifs rituels des plus petits en mal de repères qui scrutent nos galons gagnés en passant par la case pénitentiaire. On marche et on évite le centre-ville où le bourgeois nous mate comme si on avait une maladie vile. On marche sous le contrôle d’une police et d’une justice qui nous juge coupable puisqu’on a la couleur du sacrifice».
S’adressant à nous « à ceux qui ne connaissent pas les rues » où « ils ont usé les semelles de leurs baskets blanches », il nous demande de comprendre que : « se sentir discriminé n’est pas une lubie victimaire, mais le résultat d’une expérience douloureuse d’une vie passée dans des ghettos concrets et symboliques de France ». Et tout en reconnaissant que tous les aspects de la vie des jeunes français musulmans des cités HLM, en font des Français à part, il nous adresse cette supplique : « vous ne devez jamais en douter » tout cela fait également de nous « des citoyens à part entière ». Et de rajouter cette supplique, « cette conviction est primordiale » à nos yeux, « car c’est elle qui rendra effective cette citoyenneté puisque c’est dans le regard de l’autre qu’on devient soi ».
Cette de vie de jeunes Français musulmans l’amène s’interroger : comment une société, une République « qui se réclame des trois principes joints de la liberté, l’égalité, et la fraternité a-t-elle pu laisser se développer ces ghettos, un apartheid ?».
Sans grand discours mais en quelques mots Abd Al Malik rappelle les trois grands principes qui fondent la République : « Liberté, Egalité, Fraternité sont à la fois synonymes et définition de la République. Si on isole une partie de ces termes, il n’est plus vraiment question de République ou même de démocratie. Si ces termes sont séparés les uns des autres, ça ne fonctionne plus ». Après ce bref mais percutant rappel de ce que devrait être la République, on ne peut que constater avec lui que « le cul-de-sac du tout économique » « la course effrénée à l’audimat et à la visibilité » - qui se traduisent par « l’absence de vision », un « manque abyssal de créativité » , une « incohérence profonde des politiques » - constituent un véritable déni de ce qu’est la France aujourd’hui ».
La société médiatico-financière : un grand projet sociétal ?
« Clivant, asphyxiant le peuple de discours alarmistes et anxiogènes, comme ces émissions de télé et ces chaînes d’informations en continu qui au lieu d’être de fabuleux canaux de culture ou de merveilleux outils pédagogiques se réduisent à être de grossières machines à brasser nos basses émotions et/ou de vulgaires plateformes publicitaires dont le but insensé (et jamais avoué) est de générer encore et toujours plus d’argent. Voilà donc le grand projet sociétal officieux que portent les grands esprits de notre nation. A bien réfléchir, je trouve qu’il y a beaucoup de similitudes entre ces matérialistes et les intégristes religieux. Leur vie entière n’est qu’extériorité ».
|
Ayant rappelé que - « tout le monde cherche une communauté d’appartenance » qu’on a tous besoin « des gens qu’ils te disent qu’ils t’aiment et qu’ils ont besoin de toi avec insistance » « des gens qui te disent nous te prenons tel que tu es que tu sois beau ou bien laid » - Abd Al Malik, en tant que jeune issus de l’immigration, lance cet appel, ce cri de désespoir : « République, ô ma République, mais pourquoi donc ne m’as-tu pas dit que tu m’aimais ? ».
Une spiritualité laïque
Pour Abd Al Malik, la spiritualité est une dimension que tous les hommes, « tous les citoyens – qu’ils croient en dieu ou pas - ont en partage ». Analysant son propre cheminement, il reconnait qu’il a commencé à grandir « lorsque j’ai compris que mon ancrage aux principes républicains renforçait positivement ma spiritualité » et ceci grâce des rencontres décisives.
Des rencontres décisives : une mère courage catholique, une enseignante athée, un islam éclairé
« Une mère courage fervente catholique, répétant à mes frères et à moi-même comme un mantra christique que le seul véritable péché est celui de perdre espoir ; une enseignante athée ardente républicaine me permettant d’entrer dans la vie par la grande porte du savoir et de l’éducation ; un islam éclairé (vécu dans la réalité profonde d’un cheminement spirituel hors duquel l’école républicaine même soutenue par l’amour d’une mère aurait été in fine sur moi sans effet constructif) me réconciliant avec l’esprit de citoyenneté et me ramenant à une intériorité et ma vie fut à jamais bouleversée »
|
Pour l’auteur de Place de la République, la spiritualité tout en étant présente dans le religieux, ne peut pas être enfermée dans cette seule dimension. Pour lui la spiritualité est d’abord le souffle de vie : « la spiritualité, elle est le souffle qui habite les principes, sans lequel ils restent des fantômes évanescents. Ce souffle est très concret. J'ai vu des gens mourir, j'ai entendu le souffle de leur vie s'éteindre : pff, et c'est fini. J'ai vu des couples se désaimer, le souffle de l'amour s'épuiser : pff, et c'est fini. C'est ça dont je parle. Quand j'entends les politiques parler, je n'entends pas de souffle, seulement un discours creux, sans âme »[1].
Pour décrire ce qu’est la spiritualité laïque Abd Al Malik utilise le terme de foi et il appelle à la constitution de « la société de l’homme de foi », à une nouvelle Révolution française pour faire tomber l’Ancien régime de la société médiatico-financière dont « tous les messages sont ceux, de manière avérée ou subliminale, d’un bonheur matériel ». Et d’insister : « il faut définitivement rompre avec cette illusion ; Car la racine de cette illusion est, en vérité, une insatiable folie : la recherche d’un profit érigé en horizon ultime. Et de conclure : « Là est bien le mal de la profonde crise civilisationnelle que nous traversons ».
« Société de l’homme de foi »
«A l’ancien régime de la société médiatico-financière, il faut substituer la société de l’homme de foi. Car là est la société de demain et de la réussite. Toute femme tout homme ayant réussi d’une quelconque façon a été un homme de foi. Car la foi est avant tout, une capacité de l’homme à voir au-delà de l’apparence, du présent, de l’immobilité et du cynisme. Elle est la marque des résistants, des libérés, des femmes et des hommes vivants, ayant transmis par leur vie et leurs actes, une exemplarité qui ne meurt pas, sauveuse de vies futures. Mais la foi n’est pas l’apanage des héros nationaux et des grands destins. La foi est la racine de toute fidélité, de tout engagement tenu, de toute amitié, de toute fraternité véritable. La foi est dans le peuple et en chacun ».
|
Cette nouvelle Révolution française que Abd Al Malik appelle de ses vœux doit être « non-violente, pacifique, fondée sur un retour pragmatique et clairvoyant à une acceptation de l’homme qui reconsidère sa dimension spirituelle ». Pour réaliser cette nouvelle Révolution française « la foi doit être éveillée, cultivée, protégée ». Pour lui c’est là qu’est la vraie « dissidence » qu’il nous faut mettre en œuvre face à la société médiatico-financière. « Plus que jamais, la culture devrait être destinée à tous, c’est-à-dire systématiquement aux musulmans et au peuple des banlieues ».
Pour Abd al Malik, la spiritualité laïque ne veut pas exclure le religieux, mais ne peut jamais s’y réduire. « C’est le religieux, lui, qui s’exclut du spirituel quand il s’abandonne à la politique et in fine au terrorisme. Et c’est en ce sens que l’islam politique est une hérésie absolue ». A ceux qui ont choisi le religieux, il adresse cette supplique : « la culture doit toujours accompagner le culte, car le danger vient quand, on se tourne vers lui (le culte). C’est là que la mauvaise graine prend racine. C’est à cet endroit même que s’origine la facture ». Et de conclure « revaloriser l’islam en tant que spiritualité est la meilleure façon de lutter contre l’intégrisme ».
Conclusion
Ce petit livre Place de la République, Pour une spiritualité laïque est plein d’interrogations et d’enseignements sur l’évolution de la République et concernant notre compréhension de la laïcité. Pour ma part, Place de la République fait autant référence au lieu de la grande manifestation du 11 janvier 2015, qu’à l’interrogation que nous devons constamment nous poser sur la réelle place de la République dans notre vivre ensemble d’aujourd’hui. Sous l’influence et les diktats du libéralisme économique, notre République tourne de plus en plus le dos à ses principes fondateurs et notamment à celui d’Egalité et de Fraternité. La spiritualité laïque que nous propose Abd Al Malik, ce jeune Français musulman, est une fabuleuse occasion pour revoir et critiquer nos discours tous faits sur la laïcité. En effet, notre conception de la laïcité qui s’est construite avec le juste souci de remettre à sa place le pouvoir de l’Eglise Catholique n’a pas vu que la spiritualité était une dimension inscrite en chaque être humain. C’est pour avoir oublié cette dimension humaine que la République a perdu « son âme », c’est-à-dire la prise en compte simultanée de ses trois principes fondamentaux (Liberté, Egalité, Fraternité) et qu’elle s’est fourvoyée dans la construction d’une société médiatico-financière de plus en inégalitaire et individualiste. Et il nous faut admettre que la montée de l’intégrisme musulman auprès notamment de certains jeunes français est en grande partie la conséquence de l’incapacité de notre République à prendre en compte, jusqu’à maintenant, la dimension spirituelle inscrite en chaque homme ; d’autre part ayant plus difficilement que d’autres accès au savoir et à la culture ces jeunes français se sont réfugiés et enfermés dans le cultuel.
C’est fort de ces considérations sur ce que devrait être la République que le cri de Abd Al Malik « République, ô ma République, mais pourquoi donc ne m’as-tu pas dit que tu m’aimais ? » n’est plus un cri de désespoir mais un appel à l’espoir d’un possible changement.
[1] Interview de Abd Al Malik , Télérama , 23 février 2015
Ajouter un commentaire