La Capture
Les auteurs
Christian Chavagneux est rédacteur en chef adjoint du mensuel Alternatives économiques et rédacteur en chef de la revue L’Economie Politique.
Thierry Philiponnat est le secrétaire général de Finance Watch, ONG européenne qui agit en faveur d’une finance maîtrisée mise au service de l’économie. Il a travaillé de nombreuses années pour de grandes banques internationales sur des produits financiers complexes.
Objectif du livre
Montrer que les intérêts financiers ont pris le pas sur l’intérêt général et que de nouvelles mesures de régulation sont nécessaires pour remettre la finance au service de la société.
« L’ambition de ce livre (de 130 pages) est de fournir quelques clés au citoyen désirant comprendre les enjeux du débat sur la réglementation financière et d’éviter que ce dernier soit capturé par une petite minorité à l’exclusion du plus grand nombre » Contrairement aux idées reçues, le débat sur la finance, bien que parfois technique, « reste compréhensible par une personne intéressée, même si son parcours personnel ne l’a jamais exposé au monde de la finance ». p.15.
Introduction : Pourquoi il faut maîtriser la finance
Cette introduction présente les hypothèses et les idées fortes sur lesquelles qui ont inspiré les auteurs du livre :
- « L’argent est un contrat social, qui permet à chacun d’entre nous d’échanger ce qu’il fait contre ce dont il a besoin »
- Par l’épargne, l’argent est « réserve de valeur », l’argent est promesse : « l’argent mis de coté doit permettre de satisfaire nos besoins futurs ».
- Dans notre système économique, la création monétaire qui est un bien publique et qui est très largement déléguée à des agents privés que sont les banques, l’argent en tant que promesse nécessite que les banques soient contrôlées.
- Sans crédit, pas d’avenir (proposition à critiquer)
- « Ce n’est qu’une fois la finance maîtrisée qu’il est possible et réaliste de se poser la question, par nature politique, du comment nous voulons vivre ensemble, comment les moyens de production, de consommation et de répartition de la richesse doivent être organisés »p7
- « du fait de son statut de promesse, rendant possible l’organisation d’un avenir par ailleurs incertain, la finance est aussi pouvoir. (..) La recherche humaine du « toujours plus de puissance », ne connait pas de limite et la finance est évidemment au cœur de la puissance sociale »
- En tant que vecteur de puissance, l’argent change de nature. Au lieu de permettre les échanges économiques, l’argent devient l’objectif en soi. Plus il y aura d’argent concentré en un endroit spécifique, plus il y aura de la puissance en ce lieu. « Il ne s’agit plus, grâce à la finance, d’organiser les relations sociales de façon efficace, mais de subordonner le fonctionnement de la société à la recherche de puissance des détenteurs du pouvoir financier ». Le contrat social s’en trouve transformé
- La prise de pouvoir de la finance sur la société est justifiée intellectuellement et politiquement par la pensée économique dominante et notamment par la théorie du « marché efficient » et de « la main invisible » (l’enrichissement des financiers est synonyme de bénéfice pour la société).
Commentaire
L’argent comme pouvoir, la finance comme puissance sont des aspects importants mais pas assez explicité par les économistes, y compris dans le présent livre. L’argent comme « pouvoir d’achat » ne s’applique pas seulement aux biens et services.
L’argent comme « réserve de valeur » doit aussi être critiqué, de quelle valeur s’agit-il ? l’argent en soi n’a pas de valeur, il a un pouvoir d’achat.
Chapitre 1 La spéculation à crédit
L’objectif de ce chapitre est d’expliquer pourquoi les députés européens ont eu du mal à imposer quelques règles minimales aux fonds spéculatifs (hedge funds), l’industrie financière s’étant battue comme jamais pour limiter les contraintes imposées. « La city de Londres, l’Irlande et le Luxembourg ont été très vigilants, à coté des représentants de l’industrie financière pour limiter la portée de cette loi ».
L’effet de levier
« Actuellement les fonds spéculatifs gèrent environ 2.500 milliards dollars d’actifs avec un effet de levier moyen de 3,4. Cela signifie que, sur les 2.500 milliards de dollars engagés par ces fonds sur des paris à la hausse ou à la baisse des marchés financiers, environ 700 milliards représentent une épargne existante, tandis que 1800 milliards sont de l’argent emprunté auprès des banques » Rappelons que le PIB de la France en 2013 était de 2 800 milliards de dollars.
Le secteur bancaire en Europe – représente 46 000 milliards d’euros d’actifs[1] (crédits aux particuliers et aux entreprises + achats de dettes publiques + placements financiers) , soit 3,5 fois le PIB de l’UE, (4 fois pour la France et 5 fois pour la grande Bretagne) a un effet de levier de 28. Ces banques possèdent ainsi environ 900 milliards d’euros de fonds propres (principalement le capital) pour 25 000 milliards d’actifs ». Le total des activités des banques représente 28 fois leur capital. « Si la valeur moyenne de ses actifs baisse de plus de 3,6% (1/28), le système bancaire est en faillite »
Le mécanisme de l’effet de levier explique dans une large mesure l’évolution du monde bancaire : confrontés à la difficulté d’obtenir le niveau de retour sur fonds propres (profits/fonds propres) qu’ils souhaitaient atteindre, les banques ont diminué le niveau de leurs fonds propres par rapport à la totalité de leurs actifs (souvent compris entre 1% et 2%)
L’activité de spéculation des hedges funds est en grande partie financée par des fonds empruntés auprès des banques. Le fait qu’une banque prête de l’argent crée de l’argent ; Quand la création monétaire est liée au financement de l’économie, elle joue son rôle, mais lorsque les prêts bancaires servent à nourrir la spéculation, ils fragilisent l’économie .Quand les fonds spéculatifs achètent des valeurs mobilières – des actions ou des obligations – émises par les entreprises ou par les Etats, ils le font selon une logique d’arbitrage et de spéculation à court terme incompatible avec le financement dans la durée d’une entreprise ou d’un Etat.
Chapitre 2 Faire payer les banques en cas de crise
Depuis la crise de 2008, plusieurs régulateurs nationaux dont la FED et de nombreux économistes reprochent aux actionnaires des banques de ne pas avoir renforcé le capital des banques. Celles-ci restent fragiles et sont incapables d’éponger les pertes en cas de nouvelle crise.
Après la faillite de Lehman Brothers, un règle internationale (Bale 3) impose aux banques un niveau de capital qui doit représenter 3% leur actif total réel. Ce niveau est jugé insuffisant par l’OCDE ( qui propose 6%) la FED (8%)
« A qui s’inquiète d’une dette publique française représentant l’équivalent d’environ 95% du PIB , il faut rappeler que celles des banques se situent à 110% du PIB en 2013 ». Pourquoi deux poids , deux mesures ?
Une banque qui a davantage recours au capital et moins à l’endettement est plus sûre . « Mais une véritable évaluation des besoins en capitaux des grandes banques mondiales nécessiterai de la part de leurs dirigeants un exercice de transparence complet sur le niveau des pertes subies depuis le début de la crise, ce à quoi beaucoup se refusent »p45
La plupart des régulateurs nationaux ont choisi de demander à leurs banques d’augmenter leur part de capital, il leur reste maintenant à s’entendre pour fixer le niveau et le calendrier. « Il convient de souligner à quel point les régulateurs anglo-saxons sont en avance dans cette bataille tandis que les autorités françaises et allemandes sont réticentes à suivre cette voie afin d’épargner de nouvelles contraintes à leurs champions nationaux » p 46
« Les grands pays sont d’ores et déjà parvenus à se mettre d’accord sur un principe important : en cas de dérapages, les banquiers devront mettre la main à la poche, avant que les Etats éventuellement ne leur viennent en aide (..) Au niveau de l’UE, les dispositions législatives et réglementaires visant à régler cette question relèvent de la directive « redressement et résolution des banques et de l’union bancaire » (ave son mécanisme de supervision et de résolution unique » p47
« Néanmoins la loi bancaire française adoptée en juillet 2013 vise à protéger certaines catégories de créanciers des banques du risque de perte, quant à la loi allemande, elle entend exempter du mécanisme de résolution les banques considérées comme non systémiques. De manière frappante, les positions prises par ces deux pays reflètent les intérêts particuliers de leurs industries bancaires respectives : la France, dont les système bancaire extrêmement concentré fait massivement appel au financement par la dette via des marchés de capitaux, entend protéger ce mode de financement bancaire, même si cela doit mettre ses contribuables en danger » p 47
« Au niveau de l’UE , la Commission a proposé courant 2013 que les actionnaires puis une partie des créanciers des banques endossent les pertes en cas de crise avant toute aide publique à hauteur d’au moins 8% des ressources totales de la banques.( ..) Le mécanisme européen de résolution bancaire prévoit la possibilité , lorsque les pertes d’une banque auront été absorbés à hauteur de 8% par les apporteurs de capitaux de puiser dans un fond ad hoc abondé progressivement, au cours des dix années à venir , par les banques. Mais malheureusement le système prévoit exceptions, limites et possibilités de dérogations et il est à craindre (..) en cas de défaut bancaire, que le contribuable soit à nouveau rapidement exposé afin de préserver les intérêts des créancier » p48
Chapitre 3 Le long chemin vers une incertaine séparation des activités des banques
Les banques exercent deux familles d’activité. D’une part, elles offrent un service de banque commerciale consistant à collecter des dépôts, à accorder des prêts et à mettre à disposition des services de paiement à leurs clients. D’autre part elles proposent un service de banque d’affaires qui permet à leurs clients de réaliser des transactions sur les marchés financiers.
« Les investisseurs qui prêtent de l’argent aux banques sont prêts à le faire à un coût moins élevé, certains d’être remboursés, même si la banque commet des erreurs, car l’Etat ne l’abandonnera jamais. (..) le soutien public qui permet aux banques de se financer moins cher devient lui-même facteur d’expansion de la taille des banque qui bénéficieront d’un soutien de la collectivité encore plus important. (..) Entre fin 2000 et fin 2008 , alors que le PIB de la zone euro connaissait une croissance en valeur de 12% environ, la taille du système bancaire européen a cru de 90% (..) cette augmentation de la taille des grandes banques s’est essentiellement réalisée grâce à la progression des activité des marchés financiers et non celles destinées à développer le crédit aux entreprises non financières et aux particuliers (qui représente aujourd’hui 28% du total au bilan des banques européennes et 23% de celui des banques françaises) ».
Rappelons que le total des actifs du secteur bancaire français représente 4 fois le PIB de la France, le total des actifs de la BNP Paribas est égal au PIB de la France (99,8%) ce rapport est de 87,5% pour le Crédit Agricole et 60% pour la société Générale
Aux Etats Unis la réglementation Volker adoptée dans le cadre de la législation « Dodd-Franck » votée en 2010 vise interdire aux banques d’utiliser leur propre capital pour engager des opérations de spéculation à haut risque (spéculation « pour compte propre »). Suite au rapport Vickers, la loi britannique de réforme bancaire adoptée fin de l’année 2013 est la seule loi ayant opté pour le principe d’une séparation des activités de banque commerciale de celles de banque d’affaires. Au niveau de l’Union européenne le groupe de réflexion dirigé par Erkki Liikanen, gouverneur de la banque centrale de Finlande proposait en octobre 2012 la séparation des deux activités mais de multiples pressions ont été exercées pour émasculer la proposition de loi avancée par la Commission européenne à partir du groupe de réflexion. Notamment la France et l’Allemagne se sont empressées en 2013 de faire passer des lois nationales dites de « séparation », proposant une séparation des activités a minima et très éloignées du rapport Liikanen. p60 « Dans le cas de la loi française, la démonstration a été faite par différents analystes indépendants puis, par les patrons des banques que la loi n’aboutirait concrètement à quasiment aucune séparation des activités » p 62
« Au niveau de l’Union européenne, la proposition législatives de séparation des activités bancaires publiées par la commission européenne en janvier 2014 fut le parfait révélateur de la façon dont les propositions de la Commission européenne généralement bien reprises et parfois améliorées par le Parlement européen sont si souvent déconstruites par les Etats membres, soit en amont de leur sortie soit via le Conseil. (..) Sur le sujet de la séparation, on vit ainsi la France et l’ Allemagne se précipiter au cours de l’année 2013 pour faire passer des lois visant à préempter l’initiative de la Commission européenne, puis, au cours du mois de janvier 2014 et du fait des influences multiples exercées, on constata que la proposition de la Commission européenne se vidait progressivement de sa substance pour aboutir à un texte (officiellement sorti le 29 janvier) aux effets incertains là ou les versions précédentes du textes ayant largement circulé proposaient un mécanisme beaucoup plus efficace » p64
« Concrètement, le syndrome de la défense des champions nationaux conduit souvent les gouvernements à défendre et à imposer au niveau européen des mesures de réglementation financière allant contre l’intérêt même de la société ou de l’Union européenne en tant qu’Union » p65
D’une manière plus générale, « la capture des élites nationales par les intérêts financiers se rencontre dans tous les dossiers de réglementation financière » p65
Chapitre 4 Améliorer la gouvernance des risques
« Les banques ne sont pas des entreprises comme les autres ; lorsqu’elles connaissent des difficultés, les conséquences en sont graves et se répercutent sur l’ensemble de l’économie. C’est pourquoi la puissance publique doit veiller à encadrer sérieusement leurs activités »
- 1.Renforcer au sein des banques le pouvoir des contrôleurs des risques. De nombreux rapports (Rapport Walker en Grande Bretagne, rapport Erkki Liikanen pour la l’Union Européenne, le livre vert de la Commission européenne) vont tous dans le même sens : renforcer le standing et l’autorité des fonctions de contrôle des risque dans tous les établissements bancaires ». Les préconisations de ces rapports sont loin d’être opérantes aujourd’hui
- 2. Donner aux organismes superviseurs des banques un pouvoir de sanction effectif, lorsque ceux-ci constatent des manquements aux politiques de contrôles des risques (rapport Liikanen). Fin 2013, les six plus grandes banques des Etats-Unis totalisaient 103 milliards d’amende et de dommages et intérêts liés à la crise. Coté européen, le total des amendes s’élevait à 77 milliards de dollars. Les autorités judiciaires américaines ont développé une justice par la transaction (voir p 78) qui n’est pas sans présenter des ambiguïtés.
Chapitre 5 Entraver les paradis fiscaux
Vers l’échanges automatiques de données fiscales entre pays
Au printemps 2103, « l’UE, France en tête, a fait un premier pas méritoire et historique en obligeant les banques à publier une comptabilité pays par pays, les contraignant à la transparence sur la répartition mondiale de leurs activités et des impôts qu’elles payent » p84
Depuis le 1er janvier 2013, une directive de l’U E, portant sur la coopération administrative dans le domaine fiscal, prévoit de mettre en œuvre l’échange automatique d’informations dans l’Union en 2015 et donne rendez vous en 2017 en vue d’élargir le périmètre des transactions concernées (dividendes, plus values et autres revenus financiers, aux revenus professionnels, assurances vie, pensions et propriété de viens immobiliers)
Les chefs d’Etat et de gouvernement du G20 ont décidé début septembre 2013 à Saint-Pétersbourg d’adopter à partir de fin 2015 un standard international d’échange automatique d’informations fiscales. C’est l’OCDE qui est le véritable pilote de la définition concrète des politiques de traque des paradis fiscaux pour le G20 et doit proposer un standard mondial technique opérationnel d’ici juin 2014. Le G20 s’est engagé à aider les pays pauvres à mettre en oeuvre ce nouvel outil. Ce standard devra être compatible avec celui des pays européens ; Le succès de cet échange automatique sera conditionné par l’attitude des paradis fiscaux, des signes d’évolution montre que les rapports de force sont en train de changer.
Fiscaliser les grandes entreprises
Lancement par l’OCDE, en septembre 2013, du plan d’action contre les pratiques fiscales douteuses de multinationales, baptisé BEPS (Base Erosion and Profit Shifting). Ce plan vise à s’attaquer aux pratiques qui permettent aux grosses entreprises mondialisées de réduire leur base d’imposition en faisant voyager les profits qu’elles réalisent dans les territoires où ils seront les moins imposés. Les pays du G20 se sont mis d’accord pour lister quinze points précis qui méritent de leur part une action précise s’ils veulent retrouver de la souveraineté fiscale face aux multinationales. Ces points correspondent à quatre grandes missions
- Viser les techniques d’optimisation fiscales : prix de transfert, transactions sur les actifs immatériels (brevets,licences, logiciels, etc.), gestion des risques, remise en cause des intérêts d’emprunt entre filiales.
- Faciliter le travail des administrations fiscales : obliger les entreprises à établir une comptabilité pays par pays de leurs activités, de leurs profits et des impôts qu’elles paient.
- Taxer les entreprises du numérique.
- Changer les pratiques fiscales : supprimer les concurrence fiscale excessives entre les pays
Les pays du G20 se donnent deux ans pour atteindre leurs objectifs.
Une proposition alternative de l’ONG Tax Justice Network pour une taxation unitaire des firmes multinationales (toutes filiales confondues) avec une clef de répartition aux différents pays en fonction d’une clé à négocier. p91
« Si le plan d’action BEPS est mis en œuvre dans les années qui viennent et se révèle efficace, c’est un nombre important de transactions financières et d’investissements internationaux qui seront menacés. Permettre aux Etats de rétablir des frontières fiscales reviendra à rétablir des frontières financières. Un mouvement assimilable à une forme de « démondialisation ».
Un point aveugle : les paradis fiscaux et l’instabilité financière
Aucune des mesures prévues ne s’attaquent frontalement au rôle des paradis fiscaux dans l’instabilité financière internationale
En effet les paradis fiscaux ont contribué à nourrir les crises financières (p 94). Les banques ont une présence massive dans les paradis fiscaux, par exemple BNP Paribas a 334 entités, le Crédit agricole 150 entités dans ces territoires. « On ignore ce qu’elles y font ». Une analyse (p 97) montre qu’une partie des activités de financement, et d’investissement, en dollars des banques françaises et européennes passent par les iles Caïmans. Pourquoi par les Caïmans et pour quels avantages ? « Les aspects fiscaux doivent jouer un rôle, mais il est impossible de savoir pourquoi les paradis fiscaux se trouvent intégrés dans les modes de financement des grands établissements bancaires internationaux ». Il y a une absence d’action politique du G20 sur ce sujet sensible.
Chapitre 6 Bruxelles au cœur de la capture
Dans l’UE, la réglementation financière s’élabore d’abord au niveau de l’UE, avant d’être déclinée dans chacun des Etats membres.
Rappel de la procédures d’adoption d’une loi dans le Cadre de l’UE (p 104-108) avec le rôle important des lobbying tout au long de la procédure.(procédure à connaître)
Les obstacles nationaux à la réforme de la financière européenne
« Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’Europe ne se voit pas s’affronter des Etats empreints d’une volonté réformatrice et d’autres bloquant les réformes. Nous faisons face à une situation bien plus complexe, où les Etats jouent des cartes d’inspiration fort différente selon les dossiers et selon l’impact de ces derniers sur leur intérêt propre et ou sur celui de leurs champions nationaux. Il est également très frappant de constater qu’à Bruxelles les attitudes des différents Etats semblent transcender les divisions partisanes et gardent une constante quelles que soient les couleurs politiques des gouvernants » p 110
Nécessité d’améliorer la gouvernance de l’Europe et l’équilibre démocratie/lobbying (p 112-114)
Conclusion
« Dans le prolongement de la crise financière de 2007-2008 et de la double réaction de l’opinion publique et de la classe politique qui s’en est suivie, on aurait pu penser que la puissance publique reprendrait la main sur la sphère financière. Nous sommes encore loin du compte ».
« Malgré l’analyse largement partagée selon laquelle le principe « too big to fail » est devenu socialement et économiquement inacceptable, malgré le fait que tous les politiques ou presque ont annoncé vouloir s’attaquer à cette question, sept ans après l’éclatement de la crise bancaire et financière, les plus grandes banques du monde ont encore grossi, tant en termes absolus – l’importance de leurs actifs – que relatifs – par rapport à la taille de leurs économies, mesurées par le PIB ».
Les deux principales causes de ce phénomène :
- Aux Etats-Unis, le plan de sauvetage des banques a largement consisté pour les pouvoirs publics à rapprocher les établissements bancaires, et notamment à faire reprendre les établissements défaillants par ceux dont la solvabilité le permettait
- Le gonflement des actifs bancaires s’est poursuivi du fait du soutien public aux banques réputées « trop grosses pour faire faillite », une tendance très marquée en Europe » et notamment en France.
« On ne peut pas dire que rien n’ait été fait ni entrepris. Mais le sentiment général est que le pouvoir politique n’a pas vraiment osé, ou n’a pas pu, affronter jusqu’au bout la puissance financière »
Dans une dernière partie, la conclusion aborde en quelques pages, les conditions pour une véritable réforme financière. C’est une partie faible du livre.
Les points principaux à retenir
- Quelques chiffres à retenir
Le secteur bancaire en Europe – représente 46 000 milliards d’euros d’actifs (crédits aux particuliers et aux entreprises + achats de dettes publiques + placements financiers), soit 3,5 fois le PIB de l’UE ; En France le total des actifs du secteur bancaire français représente 4 fois le PIB ( le total des actifs de la BNP Paribas est égal au PIB de la France (99,8%) ce rapport est de 87,5% pour le Crédit Agricole et 60% pour la société Générale).
La dette des banques françaises représente 110% du PIB de la France, elle est plus importante que la dette publique française (95 % du PIB). Qui s’en inquiète ?
A ces informations chiffrées, on peut en rajouter d’autres fournies par d’autres sources :
Selon l’ONG Coporate Europe Observatory, l’industrie financière mobilise 1700 lobbyistes, 120 millions d’euros par an, pour influencer les institutions européennes.
La France qui essaie de trouver de diminuer ses dépenses de 50 milliards en trois ans, perd 60 à 80 milliards de recette chaque année à cause de de la fraude et de l'évasion fiscale organisée notamment par les paradis fiscaux.
Concernant l’évasion fiscale grâce aux paradis fiscaux, Gabriel Zucman[2] a évalué, à partir de statistiques non utilisées auparavant, l’importance des sommes en jeu concernant le seul patrimoine financier des ménages : « A l’échelle mondiale, 8% du patrimoine financier des ménages ( 5 800 milliards d’euros ou 7 500 milliards de dollars) est détenu dans les paradis fiscaux, ce qui est un record historique. Pour l’Union européenne, la fraction est encore plus élevée et proche des 12%. Les français détiennent à peu près 350 milliards d’euros offshore, dont la moitié (180 milliards) en Suisse. Sans l’évasion fiscale massive permise par le secret bancaire, la dette publique française ne s’élèverait pas à 94% du PIB, mais à 70%, le niveau d’avant la crise financière ». « Les fortunes étrangères en Suisse s’élèvent à 1 800 milliards d’euros. Environ 1 000 milliards appartiennent à des Européens, soit l’équivalent de 6% du patrimoine financier des ménages de l’Union Européenne ». On peut noter que 200 milliards appartiennent à des allemands et 60 milliards à des Grecs et que 40% des fortunes gérées en Suisse sont placées dans des fonds d’investissement, principalement luxembourgeois et 25% en obligations internationales. « L’argent des paradis fiscaux ne dort pas. Il alimente les marchés financiers internationaux ».
Les dissimulations du patrimoine des français dans les paradis fiscaux coûtent 17 milliards de pertes fiscales chaque année à la France quasiment 1% du PIB.
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- Un autre image du fonctionnement de L’Union Européenne et de la Commission européenne
« Au niveau de l’Union européenne, la proposition législatives de séparation des activités bancaires publiées par la commission européenne en janvier 2014 fut le parfait révélateur de la façon dont les propositions de la Commission européenne généralement bien reprises et parfois améliorées par le Parlement européen sont si souvent déconstruites par les Etats membres, soit en amont de leur sortie soit via le Conseil. (..) Sur le sujet de la séparation, on vit ainsi la France et l’ Allemagne se précipiter au cours de l’année 2013 pour faire passer des lois visant à préempter l’initiative de la Commission européenne, puis, au cours du mois de janvier 2014 et du fait des influences multiples exercées, on constata que la proposition de la Commission européenne se vidait progressivement de sa substance pour aboutir à un texte (officiellement sorti le 29 janvier) aux effets incertains là ou les versions précédentes du textes ayant largement circulé proposaient un mécanisme beaucoup plus efficace » p64
« Contrairement à ce que l’on pense souvent, l’Europe ne se voit pas s’affronter des Etats empreints d’une volonté réformatrice et d’autres bloquant les réformes. Nous faisons face à une situation bien plus complexe, où les Etats jouent des cartes d’inspiration fort différente selon les dossiers et selon l’impact de ces derniers sur leur intérêt propre et ou sur celui de leurs champions nationaux. Il est également très frappant de constater qu’à Bruxelles les attitudes des différents Etats semblent transcender les divisions partisanes et gardent une constante quelles que soient les couleurs politiques des gouvernants » p 110
La Grande-Bretagne est le seul pays de l’UE à s’être attaqué sérieusement à la question de la réforme de la structure des banques. La raison est simple : la société britannique a payé le prix fort pour sauver ses établissements en 2007-2008. Ce comportement réformiste de la Grande-Bretagne contraste fortement va celui qu’elle adopte le plus souvent concernant les marchés financiers et l’industrie de la gestion financière
La France n’est pas non plus dénuée de complexités ou d’ambiguïtés : ses positions pour le moins timides sur la réforme de la structure des banques sont motivées par la volonté de promouvoir les intérêts privés des banques françaises vis-à-vis de leurs rivales américaines et vis-à-vis de la City londonienne.
Les propos des auteurs du livre La Capture rejoignent ceux de Dominique Plihon ( Conseil scientifique d’Attac et Economistes Atterrés)[3].
« On doit sortir de la vision trop simpliste selon laquelle les autorités européennes sont le chantre du laisser-faire dans le domaine bancaire et financier. Au contraire, au moins depuis la crise de 2008-2009, la volonté d’avancer de la Commission a été assez nette. Dès le début 2009, le rapport de Jacques de la Rosière commandé par José Manuel Barroso exprime une prise de conscience assez forte que la crise est due, en partie, au fait que la régulation est très insuffisante. Le nombre de réformes initiées au niveau européen est important. Michel Barnier, le commissaire européen en charge de ce domaine est une personnalité de droite qui appartient à la tradition gaulliste, partisan d’une régulation financière forte. Une position minoritaire, y compris dans son propre camp. Même si les projets mis sur la table par Michel Barnier ne vont pas assez loin, ils traduisent une véritable volonté de réforme qui se heurte à l’opposition des élites bancaires, financières et politiques dans les principaux pays de l’Union Européenne, et singulièrement des autorités françaises depuis le ministre de l’économie jusqu’au gouverneur de la Banque de France. Et ce sur des questions aussi essentielles que la séparation des banques ou la taxation des transactions financières ». Et Dominique Plihon de déclarer « J’accuse les gouvernements français et le gouverneur de la Banque de France d’agir la main dans la main avec les lobbies financiers français ». Concernant la taxation des transactions financières, et comme l’écrit le journal Le Monde(6 mai 2014) « Bercy a tenté et visiblement réussi à vider le projet de la Commission de son contenu : Pierre Moscovici n’a pas hésité, dès l’été dernier , à parler d’une proposition excessive de la Commission ». Une nouvelle fois, le gouvernement français déborde Bruxelles sur sa droite[4].
- Le point de vue de Gabriel Zucman[5] sur les mesures en cours pour réguler la finance internationle
Dans la conclusion de son livre Zucman souligne : « L’Europe est plongée dans une crise interminable. Le vieux continent est la région la plus riche du monde. Les richesses privées y sont très largement supérieures aux dettes publiques. Et, contrairement à ce que l’on croit souvent, ces richesses sont taxables »p 113
Dans son livre, Gabriel Zucman souligne le scandale de la directive épargne de l’UE concernant l’échange automatique d’informations et qui s’applique depuis le 1er juillet 2005. Ce dispositif ne concerne que les intérêts et pas les dividendes. Le Luxembourg et l’Autriche bénéficient d’un régime de faveur (imposition forfaitaire de 35%). La directive ne s’applique qu’aux comptes détenus en main propre par des particuliers, pas à ceux possédés par l’intermédiaire de sociétés-écrans, de trusts ou de fondation.
Concernant les travaux de l’OCDE - cité par le livre La Capture - pour atteindre l’échange automatisé de données, Gabriel Zucman note que « c’est un grand progrès dont il faut se féliciter » Mais « croire que les centres offshore vont spontanément renoncer à gérer les fortunes des plus riches, sans la menace de sanctions concrètes, est d’une naïveté coupable ». Notamment l’échange automatique d’information risque fort de ne concerner qu’une minorité de contribuables, ceux qui n’ont pas recours aux coquilles vides (sociétés écrans, trusts, fondations) pour cacher leurs avoirs. ». Et c’est le problème le plus grave, les pays riches n’ont aucun moyen de vérifier que les paradis fiscaux respectent l’esprit de la réglementation internationale, ni sa lettre d’ailleurs (..) Tous les dispositifs aujourd’hui en vigueur reposent sur le postulat qu’on peut faire confiance aux banquiers pour se conformer à leurs obligations » p70-71. Ce sont ces mêmes critiques – absence de contrainte, absence de lutte contre la dissimulation via des sociétés-écrans, absence de vérification - que Gabriel Zucman adresse à la loi américaine dite FATCA sur l’échange automatique d’informations et dont l’UE cherche à s’inspirer. p 71
La principale proposition de Gabriel Zucman est de « créer un registre mondial des titres financiers indiquant sur une base nominative qui possède chaque action et chaque obligation. Un registre de ce type existe déjà en Suède ». Il serait intéressant de comparer la proposition de registre des titres financiers de Zucman avec le projet de standard international d’échange automatique d’informations fiscales cité par le livre de Chavagneux et Philipponnat.
[1] Le passif pour une banque = dépots + emprunts (court et long terme) + capital
[2] Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, Enquête sur les paradis fiscaux, La République des Idées, Seuil novembre 2013
[3] interview de la revue Regards du 5 mai 2014, htto://www.regards.fr/web/dominique-plihon-les-reformes,7703
[4] Jérome Latta, Regards, 7 mai 2014
[5] Gabriel Zucman, La richesse cachée des nations, Enquête sur les paradis fiscaux, La République des Idées, Seuil novembre 2013