La mystique de la croissance. Comment s’en libérer

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Auteur(s) de l'ouvrage: 
Dominique Méda
Maison d'édition: 
Flammarion
Date de parution de l'ouvrage: 
Janvier 2013
Date de rédaction: 
Novembre 2013

 

Objectifs du livre

  1. « Etudier la genèse de notre croyance dans la croissance »
  2. « Essayer de comprendre les multiples rôles que la croissance a joué dans la structuration et le fonctionnement de nos sociétés. Quels sont les facteurs, matériels et idéologiques, expliquant qu’elle a été considérée exclusivement comme un bien, sans que les dégâts qu’elle a provoqués, sur la nature et sur les hommes, aient été pris en compte dans la grande balance des gains et des pertes ? Quelles sont les causes à l’origine de la croissance et du caractère effréné qu’a pris son rythme ? Pouvions nous maîtriser celui-ci, le rendre plus compatible avec le soin à apporter à notre environnement et notre santé sociale ? » « dénouer les liens historiques et idéologiques qui se sont noués entre croissance, progrès et démocratie »
  3. Donner les grandes lignes d’un nouveau modèle de développement ou plutôt un nouveau modèle de civilisation « engager une grande bifurcation »
  4.  Mettre en œuvre une transition

 

Présentation du contenu

 

Le livre est construit autour de trois parties

  1. Comprendre
  2. Changer
  3. Mettre en œuvre

Chaque parties est composées de petits chapitres abordant un point de vue, un aspect, une question différentes ; ce qui rend la lecture aisée et agréable

 

1.Comprendre

 

Dans le Chapitre 1, Dominique Méda rappelle les  nombreux travaux d’experts qui montrent que l’humanité est au bord d’une série de catastrophes si rien n’est fait. Dans le chapitre suivant elle s’interroge pour savoir si on peut faire confiance aux experts ?  Elle pose de bonnes questions sur le fonctionnement du GIEC[1]et plus généralement sur la relation entre expertise et démocratie.

Dans le chapitre 3, l’auteur « s’interroge sur les raisons de notre focalisation sur la croissance et sur la production ». Ce chapitre - qui est essentiel pour répondre aux objectifs définis au début du livre c’est-à-dire pour comprendre notre addiction à la croissance et pour élaborer des alternatives - mériterait de plus amples développements et une argumentation plus diversifiée. Une place trop importante est donnée aux travaux de l’historien médiéviste américain Lynn white ; d’autres auteurs mériteraient d’être mobilisés et surtout l’importance du « bouleversement stupéfiant de l’ordre idéologique et moral » du XVIII siècle décrit par Albert Hirschman , et mentionné au début du chapitre suivant mériterait une place plus importante . Ce chapitre 4 - après avoir brièvement rappelé  la triple révolution XVIII siècle : (1) remise en cause du géocentrisme, (2) l’ordre social n’est pas un ordre naturel (3) l’émergence de l’individu - s’emploie à démontrer que « la production et la consommation ne sont pas seulement des manières de satisfaire les besoins naturels » .« Elles remplissent une fonction de cohésion sociale et sont une des modalités les plus déterminantes du processus de civilisation ». Elles sont devenues la source du lien social. Cette idée peu souvent mise en avant est importante à prendre en compte pour penser le changement.

Le chapitre 5 s’interroge sur la croissance sans modération et « pourquoi nous avons perdu tout sens des limites ». A travers la croissance de la production, c’est la recherche de la puissance, de la compétition qui serait l’enjeu. « Les taux de croissance élevés de la production sont devenus l’indicateur majeur de réussite des Etats » mais aussi des entreprises , des individus.

Dans le chapitre 6, « La société contre la nature » Dominique Méda montre que l’économie et la sociologie ont négligé les rapports entre l’homme et la  nature. Ce thème très important aurait mérité un développement plus important. D’autre part l’économie et la sociologie étant encastrées dans une société donnée on revient à la question du pourquoi d’une société contre nature.

Le chapitre 7 reprend les critiques du PIB et notamment la non prise en compte des dégâts de la croissance. Il est notamment souligné que l’origine de cette non prise en compte est l’enregistrement dans PIB des opérations « sous la seule forme d’une valeur monétaire, alors qu’une autre unité de mesure aurait pu être adoptée ». La richesse d’une nation est donc mesurée à partir de ce qu’elle produit et ne s’intéresse nullement aux variations de son patrimoine.

 

2.Changer

 

Cette partie décrit le cheminement de l’auteur dans sa découverte qu’il nous faut engager une véritable (re)conversion , une rupture radicale avec  notre mode actuel de développement. La critique du PIB et la course à l’élaboration de nouveaux indicateurs  conduit à s’interroger sur ce qui compte vraiment pour une société (chapitre 8). Dans ce chapitre à partir de la théorie de la richesse inclusive (ou plutôt de l’ « épargne nette ajustée [2]») proposée par la Banque mondiale, Dominique Méda apporte un éclairage intéressant sur la différence entre une soutenabilité faible et une soutenabilité forte. Dans la soutenabilité forte, la substitution entre les différentes formes de capital (capital productif, capital naturel, capital social) n’est pas possible « il faut donc définir les éléments du capital naturel qui importent, le capital naturel critique, qui sera transmis aux générations futures » p 107. 

Le chapitre 9 « Reconnaître la valeur de la nature » pour « contrecarrer l’utilitarisme des économistes est le plus stimulant de cette 2ème partie sur le changement.  Dominique Meda rappelle les propos du célèbre économiste Robert Solow pour qui l’équité intergénérationnelle dans l’allocation des ressources sera assurée si la consommation par tête est constante dans le temps et cet objectif sera assuré si « l’accumulation du capital reproductible compense exactement la diminution du flux des ressources consommées ». Cette affirmation  est un véritable acte de foi dans le progrès technique, elle suppose « que l’on trouvera toujours un moyen pour remplacer une ressource naturelle productrice d’utilité ».  Elle suggère d’autre part que les ressources naturelles ne méritent notre attention qu’en tant que support de flux d’utilités (…) finalement, que la nature comme ensemble de forêts, de prés, de champs, d’oiseaux, de rivières, de nuages de pluie, d’écosystème, d’odeurs, de réalités physico-sensibles … peut disparaître  pourvu qu’un capital artificiel, technique, productif soit capable de provoquer non pas les mêmes sentiments ni les mêmes émotions, mais les mêmes satisfactions ». Reprenant les propos de Aldo Leopold, considéré comme le fondateur de la deep ecology,  Dominique Meda nous invite à remettre en cause « la vision du monde cartésienne dans laquelle l’homme et la nature sont radicalement distincts et dans un rapport de domination et de conquête » et de souligner « l’homme appartient à la nature ». L’auteur  affirme le postulat que : « la nature ne peut pas se réduire à sa valeur économique, elle a une valeur intrinsèque, non réductible aux seuls avantages que les êtres humains peuvent en tirer ». Il est surement important d’affirmer  ce postulat concernant la valeur de la nature mais plus encore important d’en définir plus précisément ses fondements.

Le chapitre 10 s’interroge sur les règles et le contenu du patrimoine qu’on lègue aux générations futures. Il est très judicieusement proposé de remplacer les termes de capital naturel ou de capital humain par ceux de patrimoine naturel, de patrimoine social. Et il est urgent « de dresser un inventaire du patrimoine qui compte, non pas pour chaque individu, mais pour l’ensemble de la société. Autrement dit, à dresser un inventaire des éléments nécessaires à l’inscription de nos sociétés dans la durée, un inventaire de nos biens communs ». Il est rappelé que dresser un inventaire du patrimoine naturel et du patrimoine social est une tâche immense et difficile. La nature est définie comme demeure des êtres humains.

Dans le chapitre 11, l’auteur milite pour adopter un indicateur de progrès véritable capable de contrebalancer l’influence du PIB. « Il nous faut nous doter d’une nouvelle comptabilité, capable de mettre l’accent, non pas sur le surcroît de nouveaux biens et services produits chaque année, mais sur ce qui est essentiel pour l’inscription de nos sociétés dans la durée : les évolutions de notre patrimoine naturel et social ». Cet objectif rejoint les travaux de certains économistes dits institutionnalistes et plus précisément ceux de Marc Tool sur une théorie de la valeur sociale[3].

 Le chapitre 12 s’interroge sur la possibilité d’une croissance verte  et du découplage  (possibilité de continuer à enregistrer des taux de croissance positifs du PIB avec des moindres prélèvements sur les ressources naturelles). Il est noté qu’un découplage relatif a eu lieu par rapport aux décennies passées, mais que le découplage absolu n’a pas eu lieu « puisque les émissions de GES continuent à augmenter »

Cette deuxième partie se termine par un chapitre qui montre que « nous devons désormais engager une rupture radicale avec notre actuel mode de développement ». Le scénario du GIEC de baisse de CO2 de 50% d’ici 2050 et avec une baisse d’intensité de CO2 de 3,0% par an serait possible que si le PIB mondial croissait de moins de 0,9% par an. Objectif inatteignable !!!

 

 

3.Mettre en œuvre

 

Cette partie définit des règles, des principes, et des préalables pour mettre en œuvre un changement de mode de développement (ou de civilisation)

  • Edicter des règles du bon usage de la nature ; l’objectif ne consiste plus à maximiser la production mais à l’enserrer dans des critères éthiques. « L’indicateur de progrès doit organiser les règles du bon usage de la force de travail et de la nature » (chapitre 14)
  • Concilier la résolution de la question écologique et de la question sociale (chapitre 15)
  • Résoudre la question écologique peut améliorer l’emploi et changer le travail (chapitre 16) ; Il est rappelé que la transition écologique ne pourra s’engager sans un coup d’arrêt à la financiarisation de nos économies, sans mettre fin aux paradis fiscaux, et à l’évasion fiscale
  • L’Etat se doit de jouer un rôle éminent dans le pilotage de la reconversion écologique (chapitre 17)
  • La transition écologique suppose un processus radical de redistribution des revenus et de démocratisation (chapitre 18)
  • Prendre soin de notre environnement, de la Nature, de notre « demeure commune » (chapitre 19)
  • Pour dessiner les contours du monde que nous voulons, nous avons besoin d’une nouvelle science (chapitre 20)
  • La reconversion écologique passe par la réaclimatation des valeurs grecques au cœur de notre modernité (chapitre 21) !! Ce chapitre est une forme de conclusion reprenant quelques idées importantes du livre : « Si nous n’engageons pas un processus de profonde réduction des inégalités, nous ne parviendrons pas à convaincre les plus modestes de nos concitoyens d’échanger un surcroît de consommation contre de plus amples « capabilités » d’épanouissement ». « La question centrale est bien celle de savoir si nos sociétés sont capables de faire tenir ensemble les individus par d’autres moyens que la production et la consommation » « Ce qui compte, pour l’inscription d’une société dans la durée, c’est la force, la densité, la solidité du lien social ». Ce dernier chapitre se termine avec un appel, peu argumenté, à redécouvrir les idéaux et les valeurs du monde grec.
 

[1] Il est rappelé que le GIEC est un organisme intergouvernemental : dans les AG du GIEC qui définit son programme de travail, chaque pays dispose d’une voix.

[2] L’épargne nette ajustée se calcule comme l’épargne nette d’un pays , diminuée des valeurs des dégradations du capital naturel et augmentée des investissements dans le capital humain. Cette notion fait l’hypothèse que les différentes formes de capital : le capital productif, le capital humain et le capital naturel sont substituables et plus encore que les hommes et la nature peuvent être assimilables à du capital ; ce qui ne va pas de soi !!!! et pourtant c’est ce qui est enseigné dans nos universités.

[3] La finalité d’une théorie de la valeur sociale est d’assurer d’une manière efficiente la continuité de la vie humaine et la re-création d’une communauté d’une manière non discriminatoire