Le coopérativisme de plateforme , 10 principes contre l’ubérisation et le business de l’économie du partage
L’objectif de l’ouvrage
« Parmi tous les problèmes auxquels doit faire face le travail auXXIe - l’expansion du secteur des services à bas salaires, les inégalités économiques, l’effritement des droits des travailleurs - le principal souci reste de n’avoir que très peu de solutions réalistes. Il manque au débat sur l’avenir du travail une approche qui offre aux gens quelque chose dont ils puissent s’emparer. C’est l’objectif de cet ouvrage »[2].
Plan de l’ouvrage
- Présentation des opportunités, écueils et conséquence de l’économie du partage notamment à partir de l’exemple d’Amazon. (chapitre 1 et 2)
- Description du développement rapide du coopérativisme de plateforme et présentation d’exemples de coopératives (chapitre 3 et 4)
- Proposition de 10 principes pour rendre le travail sur les plateformes plus équitable (chapitre 5)
1 . Qu’est-ce que l’économie du partage nous a apporté ?
« On l’a nommé l’économie des petits boulots (grig économy), l’économie des pairs (peer economy), l’économie du partage (sharing economy). Il a fallu du temps avant d’admettre que cette économie du partage n’était rien d’autre qu’une économie de service à la demande visant à monétiser des services jusque-là informels ou relevant de la vie privée ». Les nouvelles entreprises (Uber, Airbnb, Handy, ..) qui gèrent les plateformes informatiques « se servent de votre voiture, de votre travail, de vos émotions et, plus important de votre temps. Ce sont des entreprises de logistique qui demandent aux participants de payer l’intermédiaire. Nous sommes transformés en actifs. C’est la financiarisation de notre quotidien »[3] . Ces entreprises « étendent le marché dérégulé dans des espaces de vies jusque-là préservés ».
« L’économie du partage est présentée comme le signe avant-coureur d’une société post-travail, la voie vers un capitalisme vert (..) elle génère au départ un sentiment de liberté, qui est vite rattrapé par l’anxiété, l’auto-exploitation et la dépression »[4].
« Au sein de la main-d’œuvre américaine, un travailleur sur trois est, un entrepreneur indépendant, journalier, intérimaire ou auto-entrepreneur ».
« L’économie du partage est dans la droite lignée de Reagan et Tatcher qui dans les années 80, ont non seulement brisé les grèves des mineurs et des contrôleurs du trafic aérien, mais ils ont aussi affaibli la confiance dans la capacité des syndicats à défendre les travailleurs, amoindri la croyance dans la possibilité de la solidarité, accru le démantèlement des protections sociales ainsi que le découplage entre salaire et productivité.
On ne peut pas réfléchir sur les plateformes de « travail » sans admettre, au préalable que cette économie du partage repose sur des millions de vies humaines exploitées pour produire les matériels informatiques (en Chine) ou pour extraire les terres rares dans les mines de la République démocratique du Congo.[5]
2. Les plateformes coopératives
2.1 Le concept de coopérativisme de plateforme
« La plupart des gens comprennent la partie coopérative, mais la partie plateforme reste mystérieuse (..) Une plateforme est le terme utilisé pour décrire un environnement dans lequel des intermédiaires coopératifs ou extractifs offrent leurs services ou des contenus »
2.2 Une typologie des plateformes coopératives
A partir d’exemples de plateformes coopératives qui existent déjà ou qui sont encore à l’état de projet, le livre révèle la grande diversité de ces plateformes :
- Sites marchands et offre de travail occasionnel en coopératives. Aux USA, Coopy est une plateforme de travail avec paiement en espèce conçue par des étudiants. En Allemagne Fermando est un site marchand décentralisé détenu par ses utilisateurs (2.000 membres) et aspire à devenir une alternative aux géants du e-commerce.
- Les plateformes détenues par les produsers (user :utilisateur) comme réponse à Facebook, Google. Resonate est une coopérative de streaming musical basée à Berlin. Stocksy est une photothèque gérée par une coopérative. Membrer’s Media est une plateforme média organisée en coopérative.
- Les plateformes coopératives municipales par exemple pour concurrencer Airbnbn
- Les plateformes de travail appuyées par des syndicats. Dans plusieurs villes américaines les chauffeurs de taxis et les syndicats ont commencé à travailler ensemble pour développer des services de taxis et organiser le secteur du VTC.
- Des coopératives à l’intérieur. Les chauffeurs d’Uber pourraient utiliser l’infrastructure technique de l’entreprise pour s’organiser en coopérative.
- Les plateformes en tant que protocole. Ces plateformes sont construites autour de protocoles qui favorisent les interactions pair-à-pair (P.2P). En Israël La’Zooz est un réseau de covoiturage P2P. N’importe qui roulant dans la ville peut gagner des jetons dématérialisés en prenant des passagers, ce système est entièrement décentralisé, il n’y a aucun nœud central.
2.3 Dix principes pour le coopérativisme de plateforme
- Propriété : des plateformes détenues collectivement, en priorité par ceux qui génèrent le plus de valeur (ajoutée)
- Salaire décent et sécurité de l’emploi
- Transparence et la portabilité des données surtout pour les données des clients
- Estime et reconnaissance
- Le travail co-déterminé avec ceux qui y travaillent
- Un cadre légal protecteur
- Des protections et allocations portables.
- Une protection contre l’arbitraire (notamment l’évaluation par les utilisateurs des chauffeurs d’Uber) ; les consommateurs prennent des pouvoirs managériaux sur la vie des travailleurs
- Rejet d’une surveillance professionnelle excessive
- Le droit à la déconnexion
Le coopérativisme de plateforme doit faire face à d’immenses défis, de l’auto-organisation et management des travailleurs, à la technologie, en passant par l’expérience utilisateur, l’éducation, l’échelle des salaires, un financement durable, la capacité à changer d’échelle, la compétition avec des multinationales géantes et la sensibilisation du public. Réfléchir à ces obstacles compte beaucoup. La naïveté et l’effervescence enthousiaste ne suffisent pas.
Un autre défi est la mobilisation des travailleurs indépendants qui sont socialement isolés et il y a quelques tentatives de création de nouvelles formes de solidarité[6].
3. Un écosystème coopératif à créer
Pour perdurer les plateformes coopératives ne doivent pas être des ilots séparés, chaque coopérative doit faire partie d’un écosystème
- Créer des incubateurs dans plusieurs villes donnant naissance à une première vague de plateformes coopératives
- Susciter des alliances entre les coopératives
- Financement. Les voies traditionnelles du financement ne sont pas accessibles aux plateformes coopératives. En Espagne, Mondragon, la plus grande coopérative industrielle du monde, fonctionne comme une banque de développement. Faire appel aux sites de financement participatif (crowdfunding), des exemples
- Un coopérativisme de plateforme pour les communs
- Des logiciels libres pour les plateformes coopératives.
- La technologie blockchain comme régulateur algorithmique ?
- Une gouvernance démocratique. Les structures coopératives appellent un processus décisionnel collectif, la résolution de conflits, et la gestion des parts et des capitaux de manière transparente. Pour mettre en œuvre une gouvernance démocratique de nouveaux outils basés sur la technologie blockchain ont émergé ces dernières années.
- Création de fondations pour faire connaître les enjeux des plateformes coopératives, pour faciliter l’échange d’information entre les coopératives et aider à la levée de fonds (exemple la P2P fondation )
- L’échelle. Pour bâtir une économie qui soit socialement plus juste et économiquement durable, les coopératives ne doivent pas nécessairement grossir
- Apprentissage et éducation, l’exemple du groupe de coopératives espagnol Mondragon qui comprend une université, 120 coopératives, une fondation, des centres de recherche et développement. Plusieurs universités ont mis sur pied des centres consacrés à la préparation des étudiants pour le travail en coopérative
Conclusion
Le coopérativisme de plateforme peut revigorer une économie du partage. Il ne remédiera pas aux effets corrosifs du capitalisme, mais il peut montrer que le travail peut être une source de dignité plutôt qu’un amoindrissement de l’expérience humaine.
Les politiciens et les propriétaires des plateformes ont promis des protections sociales, de l’accessibilité et du respect de la vie privée, mais nous exigeons la propriété. Il s’agit de concevoir une existence qui ne soit pas centrée sur l’actionnariat d’entreprise