Les ingénieurs du chaos
Introduction
Une proposition étonnante de l’auteur : utiliser la symbolique du Carnaval pour comprendre le nouveau paradigme de la vie politique au niveau mondial
« Depuis le Moyen Age, le Carnaval est l’occasion pour le peuple de renverser, de manière symbolique et pour un temps limité, toutes les hiérarchies instituées entre le pouvoir et les dominés, entre le noble et le trivial, ente le haut et le bas (..) Un renversement symbolique qui se termine toujours avec l’élection d’un Roi, substitut temporaire de l’autorité en place (..) Au cours des siècles, l’esprit subversif du Carnaval a cessé de parcourir les villes pour se retrouver dans les pamphlets et dans les caricatures des journaux populaire, jusqu’à refaire surface plus récemment dans la satyre des shows télévisés et dans les invectives des trolls sur internet. Mais ce n’est qu’aujourd’hui que le Carnaval a finalement abandonné sa place préférée, aux marges de la conscience de l’homme moderne, pour acquérir une centralité inédite, de positionnant comme le nouveau paradigme de la vie politique globale » p.12-13
Hypothèse : Derrière la montée du populisme en Europe, aux Etats Unis, au Brésil, « derrière les apparences débridées du Carnaval populiste, se cache un travail acharné de dizaines de spin doctors, d’idéologues, et de plus en plus souvent, de scientifiques et d’experts en Big Data, sans lesquels les leaders populistes ne seraient jamais parvenus au pouvoir ».p19
Exemples analysés :
- Le rôle de Steve Bannon, le grand manipulateur selon Time Magazine, qui a apporté une contribution décisive à l’élection de Donald Trump (chapitre 1)
- La création et la montée du Mouvement des 5 Etoiles en Italie (chapitre 2, Le Netflix de la politique)
- L’histoire d’une série diffusée en Angleterre par Channel Four (chapitre 3, Waldo à la conquête de la planète) : pour les ingénieurs du chaos, le populisme naît de la colère exploitée par les algorithmes et notamment ceux centrés sur la diffusion de complots.
- Le rôle de Steve Bannon dans l’élection de Trump aux Etats-Unis (chapitre 4, Troll en chef)
- La victoire d’Orban en Hongrie grâce aux campagnes médiatiques de Finkelstein (chapitre 5 Drôle de couple à Budapest)
- Les physiciens sont les plus adaptés à conduire des expérimentations, à recueillir des données et les analyser. Etre scientifique devient un atout en politique (Chapitre 6 Les physiciens)
- (Conclusion L’âge de la politique quantique)
Les changements des comportements humains dus à réseaux sociaux et à internet
« Le fait d’avoir dans sa poche la vérité sous la forme d’un petit appareil sur lequel il suffit d’exercer une légère pression pour obtenir toutes les réponses du monde influence inévitablement chacun d’entre nous. Un élément fondamental de l’idéologie de la Silicon Valley : « ne vous fiez pas aux experts, les gens en savent plus » p 77
« Google, Amazon, Delivero nous ont habitués à voir nos désirs exaucés avant même de les avoir complètement formulés ; Pourquoi la politique devrait-elle être différente ? » p77
« Contrairement aux autres animaux l’homme naît sans défense et sans compétence et le reste pendant de nombreuses années. Dès le départ sa survie dépend des rapports qu’il réussit à tisser avec les autres. Le pouvoir d’attraction des réseaux sociaux se fonde sur cet élément. Chaque like est une caresse maternelle faite à notre égo. L’architecture entière de facebook est fondée sur ce besoin de reconnaissance » voir un interview révélateur p78
« Le problème est qu’aujourd’hui sur les réseaux sociaux, nous sommes tous des adolescents enfermés dans nos chambrettes, où s’accroit notre frustration due à l’écart grandissant entre la médiocrité de notre vie et tous les possibles qui s’offrent virtuellement à nous » p 80 « les complots fonctionnent sur les réseaux sociaux parce qu’ils provoquent des émotions fortes, des polémiques, de l’indignation, de la rage. Et ces émotions génèrent des clics et maintiennent les utilisateurs collés à leur écran » p82 « Les ingénieurs du chaos ont compris avant les autres que la rage était une source d’énergie colossale, et qu’il était possible de l’exploiter pour réaliser n’importe quel objectif du moment qu’on en comprenait les codes et qu’on en maitrisait la technologie » p 87
Autres question et thèmes à signaler
- L’attaque des journalistes et de la liberté de la presse par le Mouvement 5 Etoilesp.59
- L’histoire politique de la colère ; aujourd’hui la gestion de la colère inhérente à toute société est assumée par les populistes après avoir été par l’Eglise, le parti communiste p.73
Principaux résultats :
Les ingénieurs du chaos sont en train d’inventer une propagande adaptée à l’ère des selfies et des réseaux sociaux et, ce faisant transforment la nature même du jeu démocratique :
- En supprimant toute forme d’intermédiation, tout le monde est sur le même plan, avec un seul paramètre de jugement : les like. L’objectif est d’obtenir une adhésion immédiate, l’« engagement » comme celui des petits génie de la Silicon Valley.
- En cultivant la colère de chacun sans se préoccuper de la cohérence de l’ensemble, les algorithmes diluent les anciennes barrières idéologiques et réarticulent le conflit politique sur la base d’une simple opposition entre « le peuple » et « les élites ».
- En suscitant et cultivant des émotions négatives principalement à travers les fakes news et des théories du complot qui garantissent une plus grande participation. « Pour les adeptes des populistes, la véracité des faits pris un par un n’existe pas, ce qui est vrai c’est le message dans son ensemble, qui correspond à leurs expériences et à leurs sensations ».
- En utilisant la dérision, comme dans le Carnaval, comme instrument pour renverser les hiérarchies. « Rien de plus dévastateur pour l’autorité que l’impertinent qui la transforme en objet de ridicule ». « Le Carnaval produit chez celui qui y prend part une intense sensation de plénitude, de renaissance, le sentiment d’appartenir à un corps collectif qui se renouvelle. De spectateur, chacun devient acteur, sans aucune discrimination fondée sur le revenu ou sur le niveau d’instruction ». « Les trolls d’internet sont les nouveaux polichinelle qui jette de l’huile sur le feu libératoire du Carnaval populiste » (..) Dans ce climat, il n’y a rien de plus délétère que d’interpréter le rôle du trouble fête».
Conclusions
« Le Carnaval contemporain se nourrit de deux ingrédients qui n’ont rien de déraisonnable » :
- La rage de certains milieux populaires qui se fonde sur des causes sociales et économiques réelles.
- Une machine de communication superpuissante, conçue à l’origine pour des fins commerciales, devenue l’instrument privilégié de tous ceux qui veulent multiplier le chaos »
Une proposition étonnante : Reprendre le contrôle, réinventer la démocratie en passant d’une politique newtonienne à une politique quantique ?
« Take back control » le slogan du Brexit se fonde sur un instinct présent en chaque être humain qu’il nous faut reconnaître et honorer. La démocratie est un système qui permet aux membres d’une communauté d’exercer un contrôle sur leur propre destin, « de ne pas se sentir à la merci des évènements ou d’une quelconque force extérieure ». « Les ingénieurs du chaos ont compris que ce mal être pouvait se transformer en une formidable ressource politique ».
« Les forces progressistes et libérales, continueront de reculer tant qu’elle ne parviendront pas à proposer une vision motivante du futur »p187. « Aujourd’hui, l’irruption d’Internet et des réseaux sociaux change les règles du jeu, (..) elle risque de produire des effets de plus en plus imprévisibles et irrationnels. Interpréter cette transformation requiert un véritable changement de paradigme. Un peu comme les savants du siècle dernier qui ont été contraints d’abandonner les certitudes, confortables mais trompeuses de la physique newtonienne pour commencer à explorer la mécanique quantique, inquiétante mais capable de mieux décrire la réalité, nous devons désormais accepter la fin des vieilles logiques politiques » p 188 «
« De façon analogue, la politique newtonienne était adaptée à un monde contrôlable, dans lequel à une action correspondait une réaction et où les électeurs pouvaient être considérés comme des atomes dotés d’appartenances idéologiques, de classe, de territoire, desquels dérivaient des choix politiques définis et constants. D’une certaine manière, la démocratie libérale est une construction newtonienne fondée sur la séparation des pouvoirs et sur l’idée qu’il est possible, pour les gouvernants et les gouvernés de prendre des décisions rationnelles, basées sur une réalité plus ou moins objective ».
« Avec la politique quantique, la réalité objective n’existe pas. Chaque chose se définit, provisoirement, en relation avec quelque chose d’autre et surtout, chaque observateur détermine sa propre réalité (..) Les algorithmes d’Apple de Facebook et de Google lui-même font en sorte que chacun d’entre nous reçoive les informations qui l’intéressent ». » Dans la politique quantique, la version du monde que chacun de nous voit est littéralement invisible aux yeux des autres. Ce qui écarte de plus en plus la possibilité d’une entente. Chacun d’entre nous marche dans sa propre bulle, à l’intérieur de laquelle certaines voix se font entendre mais pas d’autres, et certains faits existent mais pas d’autres. » Dès lors s’époumoner pour réclamer le respect des vieilles règles du jeu de la politique newtonienne ne sert pas à grand-chose » p191. Que faire ?
Cette analogie doit être critiquée