Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires

Titre de l'ouvrage: 
Soi-même comme un roi. Essai sur les dérives identitaires
Auteur(s) de l'ouvrage: 
Elisabeth Roudinesco
Maison d'édition: 
Le Seuil
Date de parution de l'ouvrage: 
Février 2021
Date de rédaction: 
Novembre 2021

Qu’est ce être un humaniste ?

« Si je savais une chose utile à ma nation qui fut ruineuse à une autre, je ne la proposerais pas à mon prince, parce que je suis homme avant d’être français ou bien parce que je suis nécessairement homme et que je ne suis français que par hasard. Si je savais quelque chose qui me fut utile et qui fut préjudiciable à ma famille, je la rejetterai de mon esprit. Si je savais quelque chose qui fut utile à ma famille et qui ne le fut pas à ma patrie, je chercherais à l’oublier. Si je savais quelque chose qui fut utile à ma patrie et qui fut préjudiciable à l’Europe ou qui fut utile à l’Europe et préjudiciable au genre humain, je la regarderai comme un crime » (Montesquieu, Mes pensées, Penseur politique et écrivain des Lumières 1669-1755) p20

 

Chapitre 1 l’assignation identitaire

Plus la globalisation économique s’affirme, plus s’intensifie, en contrepoint, les angoisses identitaires les plus réactionnaires : terreur de l’abolition des différences sexuelles, de l’effacement des souverainetés et des frontières, peur de la disparition de la famille, haines des homosexuels, des Arabes, des étrangers, comme si l’homogénéisation des manières de vivre, sous l’effet du marché, allait de pair avec la quête de prétendues « racines » p19-20 :

Rien n’est plus régressif pour la civilisation et la socialisation que de se réclamer d’une hiérarchie des identités et des appartenances.

L’affirmation identitaire est toujours une tentative de contrer l’effacement des minorités opprimés, mais elle procède par un excès de revendication de soi, voire par un désir fou de ne plus se mélanger à aucune autre communauté que la sienne. Loin d’être émancipateur, le processus de réduction identitaire reconstruit ce qu’il prétend défaire ; c’est par exemple le mécanisme d’assignation identitaire qui conduit les noirs et les blancs à rejeter les métis traités de mulâtres p 21

Laïcité : « seule la laïcité peut garantir la liberté de conscience et surtout éviter à chaque sujet d’être assigné à son identité » p18

« La France est le seul pays au monde à revendiquer un modèle de laïcité républicaine. Il incarne une tradition issue de la Révolution et de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, pour autant il est difficile d’affirmer qu’il serait supérieur à tous les autres et exportable. Vouloir imposer ce modèle à tous les peuples du monde serait à la fois impérialiste et suicidaire » p19

 

De la culture du narcissisme[1] à la culture de l’identité p23

« Pour comprendre l’éclosion de ces angoisses identitaires qui ont fini par renverser en son contraire l’idéal des luttes émancipatrices, il faut se rapporter à l’émergence de ce que Christophe Lasch (historien et sociologue américain) a appelé la culture du narcissisme. En 1979, il remarquait que la culture de masse, telle qu’elle s’était développée dans la société américaine avait engendrée des pathologies impossibles à éradiquer. Et il imputait à la psychanalyse postfreudienne la responsabilité d’avoir validé cette culture en transformant le sujet moderne en une victimes de lui-même incapable de s’intéresser à autre chose qu’à son nombril. »

La culture identitaire a pris progressivement le relais de la culture du narcissisme (Christophe Lasch) et elle est devenue l’une des réponses à l’affaiblissement de l’idéal collectif, à la chute des idéaux de la révolution et aux transformations de la famille. C’est alors qu’on a pu dire que les luttes dites sociétales se substituaient aux luttes sociales. Cette culture de l’identité tend à introduire les procédures de la pensée dans les expériences de la vie subjective, sociale ou sexuelle. Et dans cette perspective, tout comportement devient identitaire : les manières de manger, de faire l’amour, de dormir, de conduire sa voiture p23

 

Plan :

Chapitre 2  Analyse les variations de la la notion de « genre », qui est désormais utilisée non plus comme un outil conceptuel destiné à éclairer une approche émancipatrice de l’histoire des femmes, comme ce fut le cas jusqu’en 2000, mais pour conforter une idéologie de l’appartenance normative qui va jusqu’à dissoudre les frontières entre sexe et le genre.

Chapitre 3, 4, 5  Analyse les différentes métamorphoses de l’idée de race, qui après avoir été écartée en 1945 du discours de la science et des humanités, a été remise en jeu par les études postcoloniales, subalternistes, et décoloniales, et qui se ont inspirées de quelques œuvres de penseurs de la modernité : aimé Césaire, Frantz Fanon, Jacques Derrida. Sur ce terrain aussi, comme précédemment, des outils conceptuels ont été reinterprétés jusqu’à l’outrance afin de conforter les idéaux d’un nouveau conformisme de la norme ( adeptes du transgenrisme queer, les indigènes de la République)

Chapitre 6 Analyse la manière dont la notion de d’identité nationale a fait retour dans les discours de l’extrême droite française, habitée par la terreur du grand remplacement de soi par les migrants, les musulmans,

 

Chapitre 2 La galaxie du genre

Pour Freud, l’anatomie fait partie de la destinée humaine, celle-ci ne saurait en aucun cas demeurer un horizon indépassable. Chaque humain possède en lui-même plusieurs identités sexuelles

A partir des années 1970, se développèrent les études de genre, pour comprendre :

  • la différence des sexes induit dans une société donnée
  • la domination d’un pouvoir patriarcal qui avait occulté l’existence, non seulement du rôle des femmes dans l’histoire, mais aussi celui des minorités opprimées en raison de leur orientation sexuelle (les homosexuels, les anormaux, les pervers, les bisexuels).

Les études de genre ont été importantes pour la recherche, voir les œuvres de Michel Foucault sur la sexualité, de Jacques Derrida sur la déconstruction, de Michéle Perrot sur l’histoire des femmes. « Tous se donnèrent pour objectif de découvrir l’étendue des rôles sexuels et du symbolisme dans divers sociétés à diverses époques » p32

Cependant, à mesure que le monde cessait d’être bipolaire (USA / Russie) et que l’échec des politiques d’émancipation fondées sur les luttes de classes et les revendications sociales devenait de plus en plus évident, l’engagement en faveur d’une politique identitaire (identity policy) se substitua au militantisme classique, notamment au sein de la gauche américaine. C’est à la même époque que les progrès de la chirurgie permirent de penser la question du genre en termes non pas de subjectivité, mais d’intervention directe sur le corps »p32

Ceci déboucha sur deux expériences radicalement différentes : d’un coté un délire conduisant à l’abolition du sexe, de l’autre une réflexion constructive sur la possibilité de nouvelles relations entre le sexe et le genre

 

Mutation du transsexualisme à l’identité transgenre

En 1973 l’homosexualité est rayée des maladies mentales par l’American Psychiatric Association, Les homosexuels hommes et femmes devinrent alors des gays et des lesbiennes, formant deux communautés de combat. « Ce choix signifiait que l’homosexualité ne devait plus être pensée comme une orientation sexuelle – un homme aime un homme, une femme aime une femme – mais comme une identité : ainsi on pouvait-on âtre gay ou lesbienne, disait-on sans avoir jamais de relation sexuelle avec une personne de même sexe. Ce changement de paradigme permettait que d’autres dénominations puissent également relever, non plus d’un choix d’objet mais d’une identité. A la nouvelle communauté des gays on ajouta les bisexuels, les transgenres, les hermaphrodites[2]. Chacun quittait la honte et l’humiliation au profit d’être soi. D’où le sigle LGBT, bientôt remanié en LGBTA[3]+(queer, intersexué, asexué, etc ); le tout formant une communauté de petites communautés, chacune réclamant la fin de toutes les discriminations fondées sur la différence des sexes» pp 38-39

D’où la création du mot « hétéronormés  pour désigner toute oppression liée au patriarcat, à la domination masculine, à la pratique sexuelle entre un homme et une femme ; et l’invention du mot « cisgenre » pour qualifier une identité sexuelle dite « normative » pp38-39

 

Queer theory

Le terme queer signifie louche, bizarre, tordu

La queer theory vise non seulement à effacer l’idée d’une sexuation anatomique mais aussi à affirmer une identité floue, ou encore l’absence d’identité comme une nouvelle identité p51

Cette théorie queer rencontra une audience inattendue dans les meilleures universités américaine

 

Disséminer le genre humain (p64)

« Accorder une telle prévalence au genre sur le sexe, au point de dissoudre la différence anatomique pour y revenir à l’aide d’un tour de passe-passe (intersexualité), cela conduit à multiplier à l’infini des identités, alors même que l’approche de la spécificité humaine doit reposer sur le constat de l’existence universelle des trois grandes déterminations qui la façonnent : le biologique (corps, anatomie, sexe), le social (construction culturelle, religieuse, organisation familiale) et le psychique (représentation subjective, genre, orientation sexuelle), étant entendu qu’il n’existe qu’une seule espèce humaine, quelles que soient les différences internes à cette espèce » p65

 

Chapitre 3 Déconstruire la race

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire : La race n’existe pas.

Toute forme d’occidentalisation intégrale du monde, sous l’effet du progrès vertigineux de la science ne pourrait aboutir qu’à un désastre pour l’humanité entière ; Les sociétés humaines ne doivent ni se dissoudre dans un modèle unique, ni se refermer dans des frontières carcérales (nationalisme). L’uniformisation du monde produit toujours la guerre et le communautarisme

Colonialisme et anticolonailisme : Victor Hugo, Clemenceau contre Jules Ferry

Concept de négritude Aimé Césaire, Senghor,

Algérie Fanon

 

Chapitre 4 Postcolonisés

Jacques Derrida et le terme de déconstruction p135

 

Chapitre 5 Le labyrinthe de l’intersectionnalité

 

Chapitre 6 Grands remplacements

D’un extrême à l’autre, l’idenditarisme est présent , identité contre identité

Les  gauches identitaires

Depuis la chute du mur de Berlin et le triomphe du capitalisme libéralisé, fondé sur le culte de l’individu, les mouvements de gauche liés aux politiques identitaires sont en quête d’un nouveau modèle de société respectueuse des différences, soucieuse d’égalité, de bien-être et du care[4]. Ces mouvements dénoncent les injustices, le racisme, les guerres coloniales, mais par un retournement progressif, certains d’entre eux se sont faits les avocats d’un narcissisme des petites différences. « Le pire, pour les plus extrémistes d’entre eux, c’est qu’à force de défendre les musulmans contre le rejet dont ils sont victimes, et à force d’employer le terme d’islamophobie, ils ont fini par dénier, la dangerosité de la dérive salafiste de l’islam et de ses appels au djihadisme. Croyant soutenir les damnés de la terre, ils en sont arrivés à ne plus faire de différence entre les victimes du racisme, qu’elles soient ou non de confession musulmane et les militants d’un obscurantisme religieux, qui se pare d’un prétendu islam modéré. » Ces identitaires ont insulté Sartre et détourné la pensée de leurs ainés : Fanon, Said, Foucault, Césaire, Beauvoir « Le pire c’est qu’ils ont rejeté la philosophie des Lumières, sous prétexte que les partisans de la colonisation s’en étaient inspirés pour assurer leur domination sur les peuples de couleurs. Auraient-ils oubliés que les anticolonialistes issus du monde colonisé avaient retourné les principes de 1789 contre leurs oppresseurs ? » p233

 

Les droites identitaires ou les « Identitaires »

Elles se sont aussi déployées sous l’effet de l’expansion du capitalisme mondialisé avec des perspectives bien différentes des identitaires de gauche même si les uns et les autres se nourrissent réciproquement.

Ces Identitaires sont très divisés entre eux, ils s’en prennent aux islamo-gauchistes, au politiquement correct, aux partisans du mariage homosexuel, au féminisme victimaire, aux association antiracistes et d’une manière générale à toutes les gauches responsables, à leurs yeux, de la décadence d’un Occident blanc, chrétien, grec, judéo chrétien qui sera remplacé à brève échéance par des barbares genrés, colorés, métissés, tribalisé, salafisés, …

L’immense expansion, dans le monde occidental, des thérapies du bonheur, du coaching, du développement personnel, des cures de méditation, allié à la consommation grandissante de psychotropes, est le signe d’une incapacité sociale à affronter à la question du bonheur, idéal collectif et individuel, tels que l’avaient pensé les philosophes des Lumières et leurs héritiers révolutionnaires : de Kant à Freud d’un côté, de Rousseau à Saint-Just de l’autre p238

Dans Malaise dans la civilisation(1930) Freud réaffirmait que seul l’accès à la civilisation pouvait mettre fin à la destruction inscrite au cœur de l’humanité. C’est bien à une inversion de cette avancée de la civilisation que l’on assiste aujourd’hui un peu partout dans le monde. p239

Aux Etats Unis, dans le contexte marqué par l’expansion des studies (sur le genre, la race, la colonisation), au sein des universités, par la destruction du World Trade Center, par l’émergence d’un islamisme meurtrier, que sont montées en puissance les angoisses identitaires des petits blancs convaincus que l’autre moitié de l’Amérique - métissée, intellectuelle, universitaire – les dépossédait de leur privilège blanc, c’est à dire de leur américanité. Et c’est pourquoi, en 2016, cette classe de petits blancs a porté Donald Trump à la présidence, non sans doute pour des raisons économiques mais sous l’effet de son identité raciale, et contre son prédécesseur, Barack Obama incarnation d’une Amérique noire, élitiste, et donc haïssable p241

Les mouvements noirs américains ont évolué, eux aussi, passant de la lutte en faveurs des droits civiques à la revendication, souvent violente, à la revendication d’un droit à l’identité attaché à leur statut de descendants des anciens esclaves. D’où l’adoption du slogan « Black Lives Matter ». Emeutes, soulèvements, batailles urbaines, destructions de statues, se sont multipliés. En miroir à cette revendication existentielle, un autre mouvement a vu le jour en 2015 « White Lives Matter » composé de multiples groupes suprémacistes, héritiers de l’ancien Klu Klux Klan et de néo nazis tous adeptes de la doctrine du grand remplacement.

Le pire dans cette affaire, c’est que ceux-là mêmes qui avaient combattu l’obscurantisme religieux et lutté en faveur de l’antiracisme et de l’abolition des discriminations envers les Noirs se trouvent désormais discriminés par un privilège noir ou assimilés à des racistes (exemples p 242)

Par le biais des réseaux sociaux, les groupes de la nébuleuse nationale-identitaire prospèrent sur la misère des peuples pour propager leurs idées régressives. Ils partagent avec leurs ennemis extrémistes de l’autre bord une détestation absolue du progressisme et de la gauche, mais pour d’autres raisons. Ils sont résolument attachés à la tradition des anti-Lumières selon laquelle le sujet n’existe que dans et par la communauté, et l’individu par ses particularités. L’identité, dans cette optique est toujours séparatiste. C’est ainsi que Joseph de Maistre s’était opposé à Montesquieu : « La Constitution de 1795, disait-il en 1796 est faite pour l’Homme. Or il n’y a point d’Homme dans le monde. J’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes, etc.. Mais quant à l’homme, je déclare ne l’avoir rencontré dans ma vie »[5]. p244

Ce que redoutent les nationaux-identitaires, c’est le mélange, comme si l’on pouvait préserver les peuples et les territoires de tout contact, comme si chacun devait se protéger des excès de la mondialisation, non pas par la régulation, la loi ou la protection frontalière, mais par des murs et des barbelés. Ils se désignent comme les victimes d’une idéologie dominante qui se serait emparée des bastions du savoir, de la presse, de l’Université. En France, ils dénoncent la grande déculturation de leur pays liée à une immigration de remplacement ; et ils font souvent preuve d’anti-américanisme primaire en visant les campus américains

Terreur de l’invasion, historique

C’est à la fin du XIXè siècle que la théorie du remplacement possible par un autre, étranger à son identité fit son apparition (Edouard Drumont[6], puis Maurice Barrès) suite aux lois républicaines de 1889 qui imposaient que des enfants de parents étrangers deviennent français à leur majorité.

Pendant toute la première moitié du XXè siècle -jusqu’au génocide des Juifs par les nazis – diverses thèses selon lesquelles les populations européennes seraient sans cesse menacées furent défendues par de nombreux écrivains et essayistes p247. Nombreux étaient aussi les ouvrages faisant référence à la disparition ou au déclin de la race blanche, au crépuscule des nations occidentales ou encore à l’impossibilité pour la race blanche de défendre son identité face à la déferlante des peuples venus d’Asie, d’Afrique et de l’empire colonial p248 . A partir de 1945, avec la critique de la notion de race, la terreur de la subversion s’exprima sous une autre forme à mesure que se disloquaient les empires coloniaux. La peur du migrant - nègre, métis, arabe - se substitua à celle d

 

[1] Le narcissisme désigne l'amour de soi en référence au mythe grec de Narcisse tombé amoureux de sa propre image. En psychanalyse, le concept est élaboré dans les années 1910 par Sigmund Freud en tant qu'étape du développement de la libido au cours de la formation du moi conçu comme objet d'amour. Pour introduire le narcissisme paraît en 1914.

Le terme peut aussi bien désigner l'estime de soi qui s'équilibre dans celle d'autrui, qu'une confiance en soi excessive, confinant à l'égocentrisme, c'est-à-dire non compensée par une considération d'autrui désintéressée. En psychiatrie contemporaine, il figure à titre classificatoire dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. (cf. wikipédia)

[2] l’hermaphrodisme est un phénomène biologique en vertu duquel l’individu est morphologiquement mâle et femelle, 1 à 2% des naissances

[3] Sigle pour désigner des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans, queers, intersexes et asexuelles, c'est-à-dire pour désigner des personnes non hétérosexuelles, non cisgenres ou non dyadiques.

[4] Le soin mutuel ou sagesse pratique. La philosophie du care est née aux Etats-Unis en 1982, en réaction à la montée de l’individualisme. Elle est présente chez Paul Ricoeur dans Soi-même comme un autre (Seuil, 1990)

[5] Joseph de Maistre, Considérations sur la France, (1796)

[6] La France Juive (1886) est sans doute le livre le plus abj ect jamais écrit contre les juifs