Sortez nous de cette crise…maintenant !

Classée dans la catégorie: 
Auteur(s) de l'ouvrage: 
Paul Krugman
Maison d'édition: 
Flammarion
Date de parution de l'ouvrage: 
Janvier 2013
Date de rédaction: 
Janvier 2014

 

1.L’auteur[1]

 

Paul Krugman est un économiste américain qui a obtenu le prix Nobel d’Economie 2008 pour avoir montré « les effets des économies d'échelle sur les modèles du commerce international et la localisation de l'activité économique ». Il tient une tribune depuis 1999 dans le New York Times. Il figure parmi les cinquante économistes les plus cités. Il écrit en particulier sur la croissante inégalité des revenus engendrée par la « nouvelle économie » américaine des années 1990. Il en attribue la cause, partiellement à des changements technologiques, mais aussi et surtout à l’affaiblissement de l’« État-providence » depuis les années Reagan. Paul Krugman poursuit une longue polémique médiatique débutée en 2009 avec l'historien britannique Niall Ferguson. Dans une série d'articles et d'entretiens en 2013, Ferguson avait pointé du doigt les multiples erreurs d'analyse et de prédiction que Paul Krugman aurait effectué dans sa carrière, remettant en cause sa compétence.

Le livre a fini d’être écrit en février 2012

 

2. Objectif et message principal du livre

 

Ce livre se situe dans le débat actuel sur les politiques de relance de la croissance par la demande, c’est-à-dire par l’abandon des politiques d’austérité et  l’augmentation des dépenses de l’Etat ou  par la production, c’est-à-dire par la diminution des charges des entreprises. L’auteur s’inspirant de Keynes conseille pour lutter contre le chômage d’augmenter les dépenses publiques ce qui entraîne dans la plupart des cas davantage d’inflation.

Dans la postface, dont le titre « Que sait-on vraiment des effets de la dépense publique ? » l’auteur reprécise l’objectif de son ouvrage : « L’une des idées centrales du livre, c’est que dans une économie profondément déprimée, quand les taux d’intérêt susceptibles d’être contrôlés par les autorités monétaires sont proches de zéro, il faut que l’Etat dépense davantage, pas moins. C’est une poussée de dépense fédérale qui a mis fin à la grande Dépression (des années 1930) et nous avons désespérément besoin aujourd’hui de quelque chose de ce type » p 277. Pour appuyer son propos, à la fin de son livre (comme si sa démonstration durant tout le livre n’était pas suffisante) l’auteur cite à nouveau les périodes de grands changements dans la politique d’achats de l’Etat américain durant la seconde guerre mondiale (et également de la guerre de Corée). Il cite aussi certains chercheurs du FMI  qui en étudiant 173 périodes d’austérité dans les pays développés entre 1978 et 2009 , « ont constaté que les politiques d’austérité sont suivies de contraction économique et d’augmentation du chômage »p283.

 

Remarques importantes

Douze chapitre sur treize traitent de la dépression aux USA, seul le chapitre 10 s’intéresse d’une manière spécifique à l’Europe .

Les périodes de relance économique de Roosevelt dans les années 1930 et de relance de l’économie américaine par les dépenses d’armement durant la 2ème guerre mondiale sont souvent citées.

 

3. Quelques notions importantes

 

La trappe à liquidité p48

C’est ce qui arrive lorsqu’une banque centrale prête aux banques à des taux de plus en plus bas, proche de zéro pour relancer l’économie et que la demande demeure très faible. La banque centrale « ne peut pas persuader le secteur privé de dépenser davantage en se contentant d’augmenter la quantité de monnaie en circulation » ; La solution, c’est d’augmenter la dépense publique. L’économie américaine est sortie de la grande Dépression grâce aux dépenses publiques de la 2ème guerre mondiale. « L’essentiel est de retenir qu’il nous faut pour sortir de la dépression actuelle, c’est une nouvelle vague de dépense publique » p56. C’est simple « Pourquoi nous ne le faisons pas ?» C’est ce que l’auteur essaie d’expliquer dans son livre

 

Le moment Minsky et  la spirale dette-déflation de Fischer

Lorsque les niveaux d’endettement sont suffisamment élevés, tout événement (une récession ordinaire, l’éclatement d’une bulle immobilière) peut déclencher une récession importante. « La cause immédiate importe peu ; ce qui compte, c’est que les prêteurs redécouvrent le risque de la dette, le débiteur est forcé d’entreprendre son désendettement, et la spirale dette-déflation de Fisher est  amorcée » p 66. Dans ce type de situation, plus le débiteur paye, plus il doit payer. Par exemple, « quand des millions de propriétaires immobiliers en difficulté cherchent à vendre leur maison pour rembourser leur emprunt, cela conduit à la chute des cours, ce qui met un plus grand nombre de propriétaire en péril et aboutit à davantage de saisies. Si les banques s’inquiètent de la quantité de dette espagnole et italienne dans leurs livres de compte et décident de réduire leur exposition en vendant une partie de cette dette, le cours des obligations espagnoles et italiennes s’effondre, et cela met en danger la stabilité des banques » p 63.

 

4. Les hypothèses de Paul Krugman

 

  • « Les maux qui nous affligent sont très manifestement similaires à ceux que nous avons connus dans les années, 1930 » « notre situation est similaire à celle qu’a décrite John Meynard Keynes dans les années 30 »  p10, La Grande Dépression.

Commentaire : Les outils de la financiarisation de l’économie ont acquis aujourd’hui un développement et une efficacité très différente, d’autre part la place du dollar dans le monde s’est imposé.

  • Krugman reprend pour aujourd’hui les propos de Keynes « Les ressources de la nature et les inventions des hommes sont tout aussi riches et fécondes qu’elles étaient auparavant »p 35. Commentaire : C’est vrai pour les inventions mais pas pour les ressources de la nature.
  • « Le problème ne réside pas dans le moteur économique, plus puissant que jamais. Il s’agit plutôt d’un problème technique, un problème d’organisation, de coordination ». Il reprend l’analogie de Keynes de la bobine dans un moteur de voiture, « c’est un dysfonctionnement relativement mineur ». Et d’insister « Il suffit parfois de remplacer une batterie à 100 dollars pour remettre en marche une voiture de 30 000 dollars ».

Commentaire : C’est une vision très réductrice et mécaniste de l’économie. A la différence d’un moteur, l’économie est une réalité très complexe avec de nombreux feed-backs parfois difficilement prévisibles, les comportements des acteurs économiques ne sont pas toujours mécaniquement prévisibles.

  • Le problème n’est pas structurel, et notamment ce n’est pas un manque de main d’œuvre qualifiée (p 51) ; Lors de la relance par la dépense publique dans la 2ème guerre mondiale, après la grande Dépression, l’économie américaine n’a pas manqué de main d’œuvre qualifiée. Les mesures à prendre doivent viser « à relancer l’économie, plutôt qu’à la transformer » p268.

Commentaire : Par rapport aux impasses écologiques et sociales (augmentation des inégalités de plus en plus scandaleuses) les mesures à prendre doivent viser à transformer l’économie.

  • Il s’appuie sur l’économie expérimentale qui essaie de comprendre le comportement des agents économique partir de cas simples, sans leur réel environnement. Par exemple son histoire de la coopérative de baby-sitting, « histoire que je préfère en économie » p42.

 

 

5. Quelques-unes des questions abordées

 

Y a t il une relation de causalité entre la croissance des inégalités des revenus (que l’on observe depuis le début des dérégulation financières des années 1980), et la crise financière ? pp 107-108.

Une explication : « Les riches ont dépensé davantage pour la simple raison qu’ils ont beaucoup d’argent en plus. Leurs dépenses déplacent le cadre de référence qui façonne la demande de ceux qui sont juste en dessous »,  ces derniers déplacent le cadre de référence de ceux en dessous et ainsi de suite en cascade jusqu’en bas de l’échelle des revenus. Cette cascade du consommer plus n’a été possible que par une forte croissance de l’endettement par le crédit et notamment pour l’achat des logements aux Etats Unis qui fut à l’origine de la crise financière (développement des subprimes).

D’autre part « L’influence croissante des riches a favorisé un grand nombre de décisions politiques : progressivité réduite des impôts, le reflux de l’aide aux pauvres, le déclin du système public d’éducation » et ce qui est plus important, le maintien et la croissance de la dérégulation financière et autres formes de dérégulation .

Commentaire : Pour aller plus loin sur ce thème, lire « Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous » y compris pour l’environnement de Richard Wilkinson et Kate Pickett et bien sur les travaux de Thomas Piketty.

 

 

Les conséquences d’une coupe dans les dépenses budgétaires d’une nation se trouvant dans une trappe à liquidité

« Couper 100 milliards de dollars dans les dépenses alors qu’on se trouve dans une trappe à liquidité provoquera une baisse du PIB à la fois directement à travers la réduction des achats de l’Etat et indirectement parce qu’une économie affaiblie entraîne des coupes dans le privé ». Les études empiriques laissent entrevoir une baisse du PIB de 150 milliards de dollars ». D’autre part une économie affaiblie conduit à un accroissement des aides d’urgence et il est fort possible que la réduction nette de la dette n’atteigne pas la moitié des coupes de dépenses annoncées. p175

 

 

Emission de monnaie par la banque centrale et inflation dans une économie se trouvant dans une trappe à liquidité

Causes de l’inflation : « une entreprise augmente ses tarifs parce que la demande de ses produits a augmenté ». « Les salariés réclament une augmentation parce que l’emploi est devenu plus disponible et que leur pouvoir de négociation a augmenté ». Mais aussi si on fait tourner la planche à billet

Inconvénient d’une inflation forte : elle rend toute anticipation très difficile et favorise une économie de troc

Dans une économie se trouvant dans une trappe à liquidité l’émission de monnaie ne peut pas provoquer d’inflation : « Lorsque la FED achète des actifs en créditant les comptes de réserve des banques, ces dernières, dans l’ensemble, laissent dormir les fonds où ils sont » Entre 2009 et 2012 les réserves des banques à la FED ont explosé p 191 « Si l’économie reste déprimée il n’y a rien à craindre les conséquences économiques de la création de monnaie » p189

Les exemples historiques de l’Allemagne dans les années 20 et de l’Argentine dans les années 80 ne sont-ils pas des contre exemples ? On verra plus loin que les banques n’ont pas laissé dormir les fonds qu’elles acquièrent auprès de la FED .

 

Plaidoyer pour une inflation plus forte (4%)

Un article du FMI de février 2010 suggérait que le taux d’inflation de 2% visé par la FED et la BCE était trop bas et qu’il serait souhaitable qu’il soit de 4%.

Un taux d’inflation plus fort « assouplirait les contraintes naissant de l’impossibilité de faire baisser les taux d’intérêt au-dessous de zéro ». « La perspective d’une inflation plus élevée rend l’emprunt plus attrayant » En temps normal la volonté d’emprunter est annulée par le fait que les taux d’intérêt sont élevés.

 

Pourquoi les débats aux USA (chapitre 8) et en Europe (chapitre 10) ont cessé de se focaliser sur le chômage pour se  recentrer sur la dette et le déficit ?.

« Rien ne justifiait un tel recentrage » « Autant le tort causé par le chômage est réel et terrible, autant celui causé par le déficit à une nation comme l’Amérique dans sa situation présente demeure, pour l’essentiel , hypothétique » p162 ?

Comme les taux d’intérêt «  sont aujourd’hui très bas » et « si l’on tient compte de l’inflation, les couts de l’emprunt sont même négatifs, de sorte que les investisseurs sont en en fait en train de payer l’Etat américain pour maintenir leur richesse à l’abri ». (C’est sans doute vrai aux USA mais pas en Europe). Les taux d’intérêt restent bas aux USA parce que ce n’est pas un pays à risque de défaut « si la dette et le déficit américain sont immenses, son économie l’est aussi » et « son niveau d’endettement (ramené au PIB) est élevé mais pas tant que cela au regard des normes historiques » p170-71 « cela dépend aussi « immensément du fait qu’on emprunte ou non dans sa propre devise ou dans celle d’un autre ». « Il n’y aura rien de tragique que la dette continue de croître, tant que ce sera plus lentement que la somme de l’inflation et de la croissance économique »

Réponse à la question p 245 : « si l’on considère ce que réclament les austériens (les adeptes de l’austérité budgétaire), c’est-à-dire une politique budgétaire focalisée sur les déficits plutôt que sur la création d’emploi, une politique monétaire obsédée par le combat contre le moindre soupçon d’inflation et pratiquant la hausse des taux d’intérêt même en période de chômage massif – tout cela sert de fait les intérêts des créanciers, de ceux qui prêtent contre ceux qui empruntent et/ou gagnent leur vie en travaillant. Les prêteurs veulent que le gouvernement fasse sa priorité de l’acquittement des dettes, et ils s’opposent à toute intervention dans le domaine monétaire qui prive les banquiers des retours en maintenant les taux d’intérêt à bas niveau ou rogne la valeur de leurs créances à travers l’inflation ».

 

 

6. Quelques commentaires critiques

 

Une des faiblesses du livre de Krugman est de réfléchir à partir du point de vue d’un citoyen américain dont l’économie est encore l’économie dominante du monde, et dont la monnaie est la principale monnaie utilisée dans les échanges internationaux notamment dans la sphère financière.

Rappels : « Si l’économie reste déprimée il n’y a rien à craindre les conséquences économiques de la création de monnaie » p189

« Autant le tort causé par le chômage est réel et terrible, autant celui causé par le déficit à une nation comme l’Amérique dans sa situation présente demeure, pour l’essentiel, hypothétique » p162 ?

 

Lorsque l’auteur nous dit qu’il n’y a rien de tragique que la dette américaine continue de croître, cela est peut-être vrai aujourd’hui pour l’économie américaine mais pas forcément pour les économies d’autres pays et notamment ceux des pays émergents. Les liquidités créées par la FED ont permis aux investisseurs de placer ces liquidités dans les marchés financiers des pays émergents là où on leur offrait des rendements les plus élevés. Mais la FED vient d’amorcer, en janvier 2014, un mouvement prudent de repli de sa politique monétaire : au lieu de racheter 85 milliards de titres publics (obligations du Trésor et titres adossés à des créances hypothécaires) par mois, elle n’achète plus que 65 milliards. Ce signal de la FED a conduit les investisseurs à anticiper que l’argent facile ne serait plus disponible, qu’il fallait revenir à des placements moins risqués ; ils ont donc décidé de rapatrier en masse des capitaux des pays émergents vers les USA, provoquant un effondrement de la monnaie de pays tels que l’Argentine, l’Inde, la Turquie. Contrairement à ce qui était attendu cette réduction d’achat d’actifs par la FED n’a pas provoqué l’augmentation des taux des obligations souveraines américaines à dix ans, au contraire ils ont diminué. Le plongeon des devises émergentes a été accéléré par certains produits financiers et notamment le « Exchange-treaded-funds » (ETF). Ces fonds, appelés aussi « trackers », créés en 1990, répliquent à l’identique l’évolution d’indices boursiers, de cours de matières premières ou de devises. « Quasi inexistant avant 2006, les ETF dédiés aux pays émergents ont explosé depuis la crise. Le montant de ceux portant sur les actions des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) a frôlé 300 milliards de dollars en 2013. Et il existe des dizaines d’autres sortes : certains reproduisent les indices boursiers de l’ensemble des BRICS, d’autres suivent l’évolution d’un panier de devise. Ces fonds « sont si nombreux qu’ils amplifient les mouvements haussiers et baissiers. Lorsqu’un client se débarrasse d’un ETF répliquant, par exemple, les valeurs technologiques brésiliennes, sa banque revend toutes les actions concernées ». « Si un investisseur paniqué face à l’effondrement du peso se déleste de son ETF « devises émergentes », le gestionnaire du fonds, lui, revendra toutes les monnaies du panier composant l’ETF »  (voir le Monde du 31 janvier 2014).

 

 

La sortie de la dépression économique en Europe, ne passe ni par une politique d’austérité et une politique de l’offre, ni par une seule relance de la dépense publique. Dans une économie complexe il faut agir dans plusieurs domaines. Par exemple, les périodes d’augmentation des dépenses publiques aux USA durant la période de Roosevelt, de la 2ème guerre mondiale, de la guerre de Corée se sont accompagnées d’une forte implication de l’Etat dans une politique de l’offre, une politique industrielle et de recherche développement (notamment dans l’industrie de l’armement), cet aspect est minimisé par Krugman.

 

Dans le livre de Krugman la lutte contre les  inégalités de revenus et de patrimoine ne fait pas partie d’une politique de sortie de la crise. Comment mobiliser les différents acteurs économiques pour la mise en œuvre d’une politique de sortie de crise, lorsque les inégalités sont croissantes et insupportables ? L’imposition des hauts revenus et du patrimoine n’est pas du tout envisagé pour diminuer la dette. Il faut savoir que le patrimoine détenu par les français (en grande partie détenu par les 10% les plus riches) représente en valeur monétaire 6 fois le PIB, soit six fois le niveau de la dette de la France. Sur ce sujet il faut lire le chapitre « La dette publique » de Thomas Piketty dans son dernier livre Le capital au XXI siècle.

 

[1] Source : Wikipedia